Ces catastrophes naturelles peu connues mais récurrentes dans le bassin de la Somme
Publié par Ombelliscience -, le 13 mars 2018 4.7k
La catastrophe naturelle est une notion évoquant les événements extrêmes, comme les tsunamis, cyclones, séismes, éruptions volcaniques ou encore les inondations. Pour les événements les plus médiatisés, le nombre de victimes et les dégâts causés permettent sans aucun doute de les qualifier, dans le langage courant, de "catastrophe naturelle".
Mais entre un orage ordinaire et une crue centennale, on peut imaginer qu'il existe une zone grise, où l'ampleur intermédiaire de l'événement crée l'incertitude. Sur quelle base décide-t-on de qualifier un événement de catastrophe naturelle ?
Une notion encadrée
En France, l'état de "catastrophe naturelle" est un concept encadré au niveau légal ; sa déclaration se fait par arrêté interministériel au terme d'une procédure formalisée. La raison d'être de ce dispositif, mis en place par la loi de juillet 1982, est l'indemnisation des biens détruits ou endommagés à l'occasion d'un aléa naturel d'ampleur inhabituelle, ce qui n'est pas inclus dans les contrats d'assurance. Ainsi tous les assurés en France cotisent selon le principe de solidarité au Fonds Barnier, qui prend en charge l'indemnisation.
Une catastrophe naturelle ne sera donc reconnue comme telle que si elle a causé des dégâts aux installations humaines. Une demande doit être déposée en préfecture, typiquement par les maires des communes concernées par les dommages. Une commission interministérielle statue ensuite sur l'aspect naturel et l'ampleur exceptionnelle de l'événement, en se basant sur des informations techniques, par exemple fournies par Météo-France. Les ministres peuvent ensuite signer un arrêté déclarant l'état de catastrophe naturelle (, ce qui constitue une condition obligatoire pour pouvoir déclencher l'indemnisation.
On a bien en tête les ouragans des Antilles ou les incendies du sud de la France, mais quelles sont les catastrophes naturelles dans la Somme ? Pour le savoir, Ombelliscience est allée à la rencontre de Laurent Guerry, chargé de projet risque inondation à l'Ameva, syndicat mixte en charge de la gestion du risque inondation dans le bassin versant de la Somme.
Le ruissellement : catastrophes silencieuses dans le bassin
La géologie du bassin le rend très exposé aux phénomènes de crues lentes, notamment en raison du fait que la nappe se trouve très proche de la surface. Ainsi, la nappe contribue significativement au débit de la Somme et de ses affluents. L'exemple emblématique du phénomène de remontée de nappe est la crue exceptionnelle de 2001, ayant occasionné l'évacuation de centaines de foyers sur plusieurs semaines à travers le bassin.
sur les derniers siècles. Crédit : Ameva
Cependant, la crue lente n'est pas le seul aléa étiqueté "inondation". Un autre phénomène est responsable de nombreux arrêtés de catastrophe naturelle : le ruissellement. Moins médiatisé que l'inondation à proprement parler, le ruissellement correspond comme son nom l'indique à l'écoulement de l'eau au sol, en dehors des cours d'eaux. La topographie ainsi que les caractéristiques des sols peuvent donner lieu à une concentration éphémère des écoulements, susceptible de causer des dommages localisés aux habitations, véhicules et installations se trouvant sur leur passage.
Laurent Guerry a été amené à estimer la fréquence des épisodes de ruissellement dans le bassin de la Somme. Pour cela, il s'est basé sur les arrêtés de catastrophe naturelle entre 1982 et 2015, en considérant qu'un événement catégorisé "inondation" de moins de 24h correspond à du ruissellement. Il ressort de son analyse que le ruissellement serait responsable de la moitié des arrêtés "inondations", affectant sur la période plus d'une commune sur trois dans le bassin (particulièrement le Saint-Quentinois, le Doullennais, le Santerre ainsi qu'Amiens-Nord). Malgré la courte durée de ces épisodes, les dégâts peuvent être considérables : le 11 septembre 2008, l'état de catastrophe naturelle a été déclaré sur 13 communes, avec un total de dommages pour les particuliers et professionnels s'élevant à 2 millions d'euros.
Autre constat : la fréquence des arrêtés de catastrophe naturelle liés à du ruissellement a doublé, passant de 1 par an dans les années 1980 à 2 par an ces dernières années. Cela pourrait être attribuable à une augmentation des épisodes de précipitations extrêmes. “Toutefois, la pluviométrie n’est pas le seul paramètre, car l’apparition de phénomènes de ruissellement dépend aussi notamment de l’occupation des sols et de leur état hydrique”, précise Laurent Guerry. Par ailleurs, du fait du développement de l’urbanisation des territoires, l'eau qui ruisselle a aujourd'hui plus de chances de toucher des habitations - et donc de donner lieu à des déclarations - qu’il y a 30 ans.
Adaptation des territoires
En 2014, les compétences des collectivités territoriales ont été clarifiées. Depuis, c'est aux regroupements de communes (EPCI) qu'incombe la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMAPI), assortie d'une taxe associée. Ces compétences comprennent quatre composantes obligatoires, qui n’incluent pas la gestion du risque de ruissellement. Ce flou réglementaire est source de disparités territoriales, car des EPCI peuvent décider ou non de s'en occuper. Dans tous les cas, les EPCI ne peuvent pas mobiliser de moyens prélevés par la taxe GEMAPI pour la gestion du risque de ruissellement.
Certains EPCI font le choix de transférer ou déléguer, durablement ou ponctuellement, des compétences GEMAPI à des syndicats mixtes comme l’Ameva. Cet Établissement Public Territorial de Bassin (EPTB) dispose d’un outil de programmation et de financement, le Plan Somme, permettant de coordonner les actions d'entretien des cours d'eau et des berges. En qualité de structure porteuse, l’Ameva travaille également à l’élaboration et la mise en œuvre de Schémas d’Aménagement et de Gestion de l’Eau (SAGE) du bassin, pour la gestion globale de la ressource en eau. Elle est par ailleurs associée dans les différents projets et dispositifs régionaux liés à la coordination des actions d'aménagement des territoires et de développement durable (SRADDET, SCOT, SOCLE...).
Parce que la problématique de l'eau est très large, les interlocuteurs et collaborateurs de l'Ameva sont nombreux en dehors des collectivités. Elle travaille avec l'Agence de l'eau du bassin Artois-Picardie sur les questions de qualité de l'eau, ainsi que pour le financement de ses actions. Les agriculteurs sont naturellement des acteurs importants, puisque 75% du territoire du bassin est agricole. En particulier, ils disposent de leviers clés pour limiter l'érosion et le ruissellement : mise en place de haies et de fossés, sens de culture bien choisis... Un autre partenaire de l'Ameva est l'Association Vigilance Inondations à Abbeville (AVIA), ancienne association de victimes des inondations de 2001, maintenant acteur de la sensibilisation.
Ces dernières décennies, la volonté d'adopter une attitude proactive contre les inondations a mené à d'importantes réorganisations et à la création de nombreux dispositifs territoriaux. On peut espérer qu'ils permettront de faire face aux aléas futurs, en particulier quand on considère les incertitudes liées au changement climatique. L'Ameva travaille d'ailleurs actuellement avec le BRGM sur une étude de l'influence du changement climatique sur le niveau des nappes du bassin.
Théo Mathurin