Notre alimentation pourrait-elle impacter la santé de nos futurs enfants ?

Publié par Marion Guibourdenche, le 21 avril 2021   2.8k

C’est en partie la question à laquelle ma thèse de doctorat a essayé de répondre.

Nos choix alimentaires joueraient-ils un tour à notre santé ?

Manger déséquilibré, un peu trop gras, ou ultra-transformé et/ou consommer des aliments contenant des résidus de pesticides, lors des périodes de grossesse et d’allaitement pourraient impacter la santé de nos futurs enfants. Les pesticides sont ainsi retrouvés dans le placenta et le lait maternel dont la composition peut aussi être modulée par l’alimentation de la mère. L'immaturité des systèmes physiologiques explique la grande sensibilité des jeunes populations face aux facteurs environnementaux. En cas d’exposition maternelle, la descendance serait susceptible de développer, par exemple, des fragilités digestives et être prédisposée à des maladies chroniques ou être plus vulnérable à des contaminants alimentaires au cours de leur vie. Un déséquilibre alimentaire et/ou une exposition maternelle à des résidus de pesticides pourraient façonner son métabolisme et augmenter les risques de développer une obésité ou un diabète de type 2 à l’âge adulte. Les causes de ces maladies sont, en effet, multiples : contexte génétique, mais aussi épigénétique, alimentation déséquilibrée, exposition aux polluants, pesticides…

Illustration de la problématique de l'étude (Biorender.com)

 Pourquoi étudier les impacts au niveau digestif ?

Notre système digestif représente l’une des plus grandes surfaces du corps en contact avec notre environnement. Il assure des fonctions vitales, dont la principale est la nutrition. Les aliments que nous mangeons sont transformés et absorbés principalement au niveau intestinal. Ils gagnent alors la circulation sanguine et sont distribués dans les différents organes du corps pour en assurer le bon fonctionnement tissulaire et cellulaire. Ils atteignent en premier lieu le foie. Cet organe joue un rôle métabolique clé en transformant les nutriments et en stockant certains sous-forme de glucides (glycogénogenèse) ou de lipides (lipogenèse). Ces substrats pourront être libérés selon les besoins de l’organisme au cours de la néoglucogenèse et glycogénolyse. Les cellules intestinales sont organisées en un épithélium qui constitue une barrière entre notre environnement et notre organisme interne. Cette barrière est constituée de cellules liées entre elles par des jonctions, comme les jonctions serrées, qui régulent la perméabilité intestinale. Certaines de ces cellules produisent du mucus qui forme un gel protecteur contre les agents biologiques et chimiques qui peuvent être présents dans notre alimentation. D’autres de ces cellules assurent des fonctions immuno-inflammatoires participant également à la protection de notre organisme au niveau digestif en détruisant certains agents infectieux. Cette double fonction intestinale permet de protéger notre organisme contre des substances étrangères tout en permettant une absorption optimale des nutriments vers la circulation sanguine. Des perturbations de ces différentes fonctions du système digestif induites par notre environnement lors de notre développement pourraient altérer notre métabolisme et nous prédisposer à de futures maladies.

Quelques fonctions du système digestif et hépatique étudiées (Biorender.com)

Concrètement, qu’avez-vous fait au laboratoire ?

Pour répondre à ces questions, nous avons exposé des rates à un pesticide (le chlorpyriphos) et/ou à un régime riche en graisses durant en périnatal à savoir prégestation, gestation et lactation. Les petits sevrés ont ensuite reçu une alimentation « classique » jusqu'à atteindre l’âge adulte. Le bien-être des animaux était suivi quotidiennement selon la réglementation. Nous avons ensuite analysé différents paramètres afin d’identifier des perturbations potentielles au niveau intestinal et hépatique. Le chlorpyriphos est un insecticide de la famille des organophosphorés, jadis très utilisé pour la protection des végétaux en agriculture. L’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’alimentation, de l’Environnement et du travail (ANSES) en a restreint puis interdit l’usage en Europe depuis 2020. Son étude permet cependant de mieux comprendre les impacts potentiels des pesticides de la famille des organophosphorés, dont le mode d’action neurotoxique est commun. L’utilisation d’un régime obésogène hypercalorique (60% de l'apport calorique est fait de matières grasses) permet quant à lui de simuler expérimentalement un apport calorique accru et/ou excessif sur l’animal.

Nous avons alors suivis et analysés les poids des animaux au cours de leur développement. Un bilan sanguin, principalement métabolique a été réalisé. Une évaluation des variations d’expressions de gènes impliqués dans le métabolisme hépatique (lipidique et glucidique), dans la constitution de la barrière intestinale (composition du mucus et jonctions serrées) et de l’immunité intestinale a été investiguée. La réponse inflammatoire intestinale éventuellement induite a été analysée en dosant des cytokines pro-inflammatoires libérées dans le sang. Enfin, l’anatomie et l’histologie des organes et tissus clé à savoir l’intestin, le foie, et le tissu adipeux ont été analysés. Nous avons comparé les résultats des animaux issus d’une exposition maternelle au pesticide, au régime obésogène, à la co-exposition, aux animaux contrôles grâce à des analyses statistiques.

En complément de cette étude et pour aller plus loin dans la compréhension des impacts de contaminants alimentaires au sein de notre système digestif, nous avons instauré une étude in vitro sur des lignées de cellules intestinales humaines. Ces cellules ont été exposées au chlorpyriphos ainsi qu’à d’autres contaminants alimentaires, comme des produits de réaction de Maillard. Ces produits se forment lors de la transformation et de la cuisson de nos aliments. Ils sont responsables de la couleur brune et des arômes, et peuvent avoir des impacts sur notre santé et plus particulièrement au niveau digestif. Nous avons regardé si ces contaminants alimentaires induisaient une inflammation ou impactaient la fonction barrière de l’épithélium intestinal humain.

Méthodologie de l'étude (Biorender.com)

Et qu’avez-vous trouvé ?

Les animaux de mères exposées au pesticide présentent une glycémie et une insulinémie élevées. Au niveau hépatique, les sucres semblent peu captés et peu transformés en graisses. Au niveau digestif, l’expression des gènes codant pour les protéines des jonctions serrées est altérée, celle des mucines est diminuée et celle de marqueurs de l’immunité augmentée. Ces résultats montrent des altérations de la structure de la barrière intestinale et de ses fonctions, une activation de l’immunité digestive, sans induction d’une inflammation ni modification de la perméabilité intestinale. L’alimentation déséquilibrée n’exacerbe pas les effets liés à l’exposition maternelle au pesticide.

In vitro, le pesticide altère une partie des composants de la fonction de barrière intestinale sans induire d’inflammation alors que le produit de la réaction de Maillard étudié induit une réponse inflammatoire, mais n’impacte pas la fonction de barrière. Ces résultats sont en cours de publication dans des journaux internationaux spécialisés.

Pour conclure...

Chez l’animal, une exposition maternelle alimentaire à un pesticide, ou un régime obésogène pourrait fragiliser l’équilibre, au niveau digestif, de la descendance à l’âge adulte et le prédisposer à de futures maladies chroniques. Cependant, l’extrapolation de ces résultats expérimentaux à l’homme doit rester prudente, car les mécanismes et facteurs impliqués sont complexes. Ces études nous permettent de mieux appréhender les impacts potentiels de notre environnement et alimentation sur notre santé. Ce projet de recherche a été co-dirigé par le Dr. Jérôme Gay-Quéheillard au sein du laboratoire PériTox UMR_I 01 d’Amiens, ainsi que le Dr. Pauline Anton au sein de l’équipe PETALES de l’unité Transformations et Agro-ressources d’UniLaSalle à Beauvais. Cette thèse a été soutenue le mercredi 31 mars 2021 au sein de l’Université Picardie Jules Verne, à Amiens. 

Marion Guibourdenche

Docteure en Biologie Santé

Ingénieure en Alimentation & Santé