Les effets d’un pesticide (chlorpyriphos) et d’une alimentation déséquilibrée, sur notre organisme au cours des 1000 premiers jours de la vie : mon travail de thèse
Publié par Marion Guibourdenche, le 11 février 2019 4.5k
“Quels facteurs de risque lors des 1000 premiers jours de la vie et de sa vie fœtale ?”
La grossesse, l’allaitement et les 1000 premiers jours de la vie représentent des périodes de sensibilité et de vulnérabilité particulières du fœtus et du petit enfant aux facteurs environnementaux. Toutes les perturbations des processus développementaux sont décrites dans le concept de DOHaD (Developmental Origin Of Health and Diseases). Un mauvais équilibre alimentaire et/ou une obésité maternelle constituent un environnement à risque pour l’enfant. Cela façonne son métabolisme et augmente les risques d’obésité ou d’un diabète de type 2 pour sa future vie d’adulte. Ainsi, l’obésité s’inscrit dans un cercle vicieux familial, ce qui explique au moins en partie la forte progression du nombre de cas concernés par l’obésité.
De nombreux facteurs interviennent dans l’apparition de cette pathologie : contexte génétique familial, alimentation riche en matières grasses et déséquilibrée, mais aussi certains facteurs présents dans notre environnement, comme l’exposition à certains produits phytosanitaires (pesticides).
“Quels dangers pour notre santé : cas du chlorpyriphos”
Parmi eux, un insecticide de la famille des organophosphorés, le chlorpyriphos (CPF), est suspecté d’avoir des conséquences sur la programmation du métabolisme de la naissance à la vie adulte. La réévaluation des risques associés par l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’alimentation, de l’Environnement et du travail (ANSES) a restreint son usage ces dernières années. L’analyse des résidus de pesticides par l’Agence Européenne de la Sécurité des Aliments (EFSA) montre qu’en 2016, le CPF était le 3e pesticide qui dépassait le plus souvent les limites maximales de résidus autorisés (LMR), notamment dans les fruits. Retrouvé dans de nombreux produits il y a quelques années, il est aujourd’hui commercialisé sous une seule formulation : le Pyristar. Ce produit, utilisé dans la culture des épinards, a récemment été interdit pour les haricots et navets. Le CPF est au cœur de nombreuses études depuis les années 2000, afin de mieux connaître ses impacts sur l’être humain, tels que ses effets sur le développement cérébral lors de la vie fœtale.
Différentes études ont été menées depuis 2010 sur les effets de l’ingestion quotidienne de CPF au cours des 1000 premiers jours de la vie, au sein du laboratoire PERITOX-UMR-I-01, actuellement dirigé par le Pr. Véronique BACH, situé à Amiens, où j’effectue actuellement ma thèse. Ces études cliniques (sur les nouveau-nés prématurés du CHU d’Amiens) et pré-cliniques (intestin artificiel, modèle animal...) visent à étudier l’impact de ce pesticide sur les fonctions physiologiques vitales impliquées dans le maintien du métabolisme de l’individu (sommeil, thermorégulation, respiration, digestion…).
Parmi ces études, celles menées par le Dr. Jérôme GAY-QUEHEILLARD et le Dr. Hafida KHORSI-CAUET ont permis de montrer que l’exposition au CPF au cours de la grossesse avait des conséquences négatives sur le fonctionnement de l’intestin, mais également sur les activités métaboliques chez la descendance. En effet, les petits issus de mères soumises au CPF pendant la gestation, la lactation et en phase post-sevrage présentaient des signes de prédisposition à développer obésité / diabète / maladies cardio-vasculaires. A partir de ces résultats, il s’est avéré intéressant d’y ajouter des aspects de déséquilibre alimentaire, car ce phénomène est bien connu pour induire des troubles digestifs. Par exemple, les lipides alimentaires saturés, retrouvés dans le beurre, les viennoiseries, l’huile de palme, peuvent stimuler la réponse inflammatoire dans le tube digestif, et perturber l’équilibre du microbiote intestinal (population bactérienne).
“Une question scientifique, et trois doctorantes pour y répondre”
Mon projet de thèse a pour objectif d’étudier les impacts de l’ingestion quotidienne d’un régime hypercalorique connu pour entraîner l’obésité (60% de matières grasses) associé à celle d’un pesticide (CPF) sur la programmation fœtale et la survenue de l'obésité et des troubles métaboliques par des approches in vivo et in vitro.
Pour commencer à répondre à ces différentes questions, en novembre 2017, une étude a été initiée et a duré tout au long de ma première année de thèse. Concrètement, nous avons exposé des femelles à ce pesticide, et à un régime connu pour induire l’obésité, pendant quatre mois avant la gestation, puis pendant les périodes de gestation et de lactation. Les petits sevrés ont ensuite reçu une alimentation classique jusqu'à atteindre l’âge adulte. J’ai évalué leur consommation d’aliments, la prise de poids, et des analyses en cours de réalisation me permettront de regarder les différents paramètres d’utilisation et de valorisation des nutriments par le corps, et les éventuelles perturbations au niveau du tube digestif.
Pour ce faire, une visite quotidienne, week-ends et jours fériés, nous permettait également de suivre le bien-être des animaux, en accord avec la Réglementation. Pour réaliser ce travail, nous avons appliqué le principe des 3R : Remplacer l’utilisation d'animaux chaque fois que cela est possible par d’autres méthodes (modèles informatiques, cellules…), Réduire au maximum le nombre d’animaux utilisés (diminuer le nombre d’animaux, imagerie…) et Raffiner le travail réalisé (diminuer les contraintes et la douleur : hébergement amélioré, anesthésie et analgésie…).
“De nombreux chercheurs sur un même projet”
Pour répondre à cela, nous avons travaillé à trois doctorantes, afin d’évaluer sur un maximum de tissus possibles les impacts de ce pesticide sur l’organisme.
Sur ce projet, ma thèse se penche à étudier les différents impacts sur les perturbations de la fonction digestive.
Une deuxième doctorante, se focalise sur l’étude de l'activité contractile du muscle digestif et du diaphragme.
Une troisième doctorante, étudie les conséquences du régime et du pesticide sur le microbiote, et elle corrèle ses observations à une étude clinique observationnelle de femmes enceintes en situation d’obésité et leurs expositions à des pesticides.
L’expertise apportée par différents laboratoires partenaires a permis de s'intéresser également à l’effet de ces expositions répétées sur plusieurs systèmes. Ainsi, des équipes travaillent sur les modifications du dialogue intestin-cerveau, mais aussi à l’étude des tissus adipeux, au squelette, et aux paramètres biochimiques sanguins.
“ Zoom sur les cellules humaines”
En complément des études chez l’animal, et pour approfondir la compréhension des mécanismes altérés au niveau du fonctionnement des cellules au sein de la muqueuse intestinale, une étude sur cellules sera bientôt réalisée. Celle-ci permettra de simuler les effets du CPF sur la modification du fonctionnement des cellules absorbantes intestinales (formant naturellement une barrière physique mais aussi en charge d’absorber les nutriments), et sur les échanges entre ces cellules et les cellules immunitaires en charge de nous protéger contre les agressions extérieures chez l’humain. Cette étude a lieu dans un autre laboratoire partenaire dans lequel j’effectue ma thèse, auprès du Dr. Pauline ANTON, au sein de l’Unité Transformations et Agro-Ressources, à UniLaSalle, campus de Beauvais.
L’objectif de ces études sera d’obtenir des résultats qui permettront sans doute d’en connaître davantage sur les effets de ce pesticide associé à une alimentation déséquilibrée, sur notre organisme...
Marion GUIBOURDENCHE
Doctorante en 2ème année de thèse en biologie santé (2017-2020)
au sein du laboratoire PériTox - UMR - I - 01 avec le Dr. Jérôme Gay-Quéheillard
et en co-encadrement avec l'équipe PETALES – EA 7519 - Unité Transformations & Agro-Ressources - UniLaSalle avec le Dr. Pauline Anton
Mission "Science et société " Ombelliscience
Dessins : source personnelle, Marion Guibourdenche