Expédition au Yukon : un doctorant de l’ULCO face aux défis du pergélisol

Publié par Eric Fertein, le 10 mars 2025   110

Arthur Szylit, doctorant à l’ULCO, s’est lancé dans une expédition scientifique au Yukon (territoire du nord-ouest canadien) pour sa thèse sur l’implication des microorganismes dans les émissions de méthane d’une vingtaine de lacs Arctiques. Son projet s’inscrit dans le cadre du programme PRISMARCTYC, une initiative internationale visant à comprendre les impacts du dégel du pergélisol de manière transdisciplinaire incluant l’hydrologie, la géochimie, la géomorphologie, la microbiologie, et l’aspect socio-économique.

Le pergélisol Yedoma, riche en glace et en carbone organique, est particulièrement vulnérable au réchauffement climatique. Lorsqu’il dégèle, il libère du méthane, un gaz dont le potentiel de réchauffement global est 28 fois supérieur à celui du CO2. L’étude d’Arthur vise à quantifier ces émissions et à analyser les micro-organismes impliqués dans la production et la consommation de ce gaz. Mais avant d’analyser quoi que ce soit, il fallait d’abord survivre à l’expédition.

L’aventure commence à Whitehorse, où l’équipe d’une vingtaine de chercheurs doit organiser le voyage. Entre les courses de ravitaillement dont le ticket de caisse dépasse quasiment les deux mètres et la location de pickups tout-terrain, le ton est donné : la logistique sera aussi exigeante que la science. Après plusieurs centaines de kilomètres sur des autoroutes sans fin, ils atteignent Beaver Creek, le village le plus à l’ouest du Canada. Avec près de 78 habitants, Beaver Creek est un décor de western, avec comme principaux bâtiments, une station-service et un restaurant-motel.

Toute l’équipe est très rapidement formée aux dangers de la faune locale tels que les ours et les orignaux. Les règles sont simples : toujours faire du bruit, frapper le sol lors de déplacements afin d’avertir les animaux de notre présence, ne jamais trop s’éloigner du groupe et toujours garder un spray anti-ours à portée de main. Les difficultés ne tardent pas à arriver. Le premier jour sur le terrain, en route vers le lac 18, Arthur découvre les joies de la Muskeg, une tourbière où chaque pas l’enfonce de trente centimètres. Chargé d’un sac rempli d’équipements scientifiques, l’équipe de scientifiques met près d’une heure à parcourir 800 mètres. « Si on arrive à destination avec nos chevilles intactes, ce sera un miracle », plaisante-t-il en reprenant son souffle.

Sur le lac, il monte à bord d’un bateau avec Frédéric Bouchard, un chercheur canadien. Leur mission : mesurer les paramètres physico-chimiques de l’eau à l’aide de sondes. Mais un malheureux faux mouvement envoie sa pagaie droite dans l’eau. Arthur observe, impuissant, l’objet sombrer dans les profondeurs du lac. Heureusement leur bateau, acheté pour 20 dollars à Whitehorse, avait des pagaies de rechange.

Les jours suivants réservent leur lot de surprises entre les passages au poste frontalier pour étudier les lacs à la limite entre le Canada et l’Alaska ou la filtration de centaines de litres d’eau à l’aide de seringues qui explosent sous la pression exercée. Mais son plus grand exploit survient au lac 15. L’équipe doit s’enfoncer dans la forêt pour atteindre un site d’étude clé où le pergélisol dégèle à vue d’œil. Armée de matériels pesant plus de 30 kg, elle avance en file indienne, mais Arthur, toujours en quête d’optimisation, tente un raccourci. Mauvaise idée. En une fraction de seconde, il disparaît jusqu’au nombril dans une mare de tourbe. « Je suis officiellement baptisé par la toundra », plaisante-t-il, tentant d’ignorer l’eau glaciale qui s’infiltre dans ses bottes.

Malgré les conditions extrêmes, l’équipe poursuit inlassablement son travail. À l’aide de capteurs sophistiqués, Arthur mesure les émissions de méthane dans l’atmosphère et prélève des échantillons d’eau pour analyser les micro-organismes responsables du dégagement de ce puissant gaz à effet de serre. Chaque soir, après une longue journée sur le terrain, ils se retrouvent autour d’un repas frugal et échangent anecdotes et résultats dans une ambiance presque familiale.

Le dernier jour, une chute de neige s’abat sur la région, rappelant à tous la rudesse du climat arctique. Trempé jusqu’aux os, les mains plongées dans une eau glaciale pour récupérer les derniers échantillons, Arthur se promet de ne jamais sous-estimer la nature. Mais tandis qu’il lève son verre de soupe tiède avec ses compagnons d’expédition, il sait qu’il a vécu une aventure hors du commun, entre science, défis et camaraderie.

Texte de Arthur Szylit