Eaux troublées : inégalités d’accès à l’hygiène

Publié par Université de Picardie Jules Verne, le 17 mai 2024   370

Il s’appelle Augustin, il étudie l’histoire de l’art à la Sorbonne. Il vit dans le XVIIIème arrondissement à Paris. Son appartement fait 10m2. Sur son palier, il y a sa douche qui est cassée et des cafards s’y rencontrent.

Il s’appelle Anatoliy, il vient de Pologne, il vit dans une chambre avec quatre personnes à Lille. Dans la chambre, il y a cinq lits, une bouilloire et des toilettes bouchées.

Elle s’appelle Françoise, elle a 85 ans. Elle n’a pas de famille. Elle a une maison plutôt confortable en Bretagne. Il y a deux ans, elle a fait une chute dans sa salle-de-bain. Depuis, elle ne veut plus se laver seule.

Il s’appelle Martin, il a 33 ans. Il travaille dans une usine à Dunkerque. Trois fois par semaine, il va à la piscine, ce n’est pas pour faire ses longueurs, mais pour prendre une douche, chaude et longue, sans compter, juste profiter de la chaleur.

Tous les matins, Augustin, Anatoliy, Françoise et Martin, se réveillent et cherchent une solution pour passer la journée en étant propre. Tout cela sans que personne ne s’aperçoive de rien, ils restent invisibles. Ils se lavent au lavabo, parfois chez des connaissances, dans les bains-douches lorsque ces derniers existent encore, parfois sur leur lieu de travail, dans des stations d’auto-route. Comme ils peuvent…

Ce sont des personnages fictifs. Néanmoins, leurs situations existent. Beaucoup de personnes ont un accès à l’hygiène restreint ce qui leur complique considérablement la vie au quotidien et pose des problèmes d’insertion et de dignité.

L’accès à l’eau et par conséquent à l’hygiène est de plus en plus entravé par la crise du logement, l’inflation et la crise énergétique. Ce sont des besoins essentiels et vitaux, pourtant, la réponse est très inégale en France.

Une offre publique de bains-douches a pourtant longtemps existé, tant dans les grandes villes que dans les plus petites et même dans les campagnes. Douches d’entreprises et de gymnases complétaient ces services municipaux, qui ont progressivement fermé depuis la seconde moitié du XXème siècle, à mesure qu’augmentait le taux d’équipement en salle de bain des logements. À Lille par exemple, le dernier bain-douche municipal a fermé en 2019. Dans beaucoup de villes aujourd’hui ne subsiste plus qu’une offre associative, tournée vers les habitant.es les plus vulnérables à qui ces associations offrent un accès à l’hygiène, parfois conditionné à un suivi spécifique, réservé à certaines populations (SDF, toxicomanes, etc), avec un nombre de douches limité par jour et souvent insuffisant pour répondre à la demande.

Alors, tous les Augustin, les Anatoliy, les Françoise, les Martin et tant d’autres ne poussent pas la porte de ces associations.

Pour répondre à ces carences, la réactivation des services municipaux de bains-douches collectifs, observée depuis peu à Lyon, Marseille ou Saint-Denis, pourrait constituer une étape cruciale.

C’est dans ce contexte que le projet de recherche THERMAPOLIS, financé par l’Agence Nationale de la Recherche, a débuté en 2021. Coordonné par la géographe Marie Chabrol, il a pour objectif d’analyser l’accès à l’eau en Europe occidentale à travers l’exemple des bains-douches. Ce projet ambitionne de retracer l’histoire des douches municipales dans une douzaine de villes en France, ainsi qu’à Bruxelles et Turin, de décrire l’offre existante aujourd’hui et d’en signaler les limites, de rendre compte de l’expérience de la précarité hydrique aujourd’hui et de qui sont les populations les plus vulnérables. À terme, l’équipe de Thermapolis mettra ces connaissances à disposition des acteurs et décideurs publics.

Car pour diminuer ces inégalités territoriales et garantir à tous et toutes un accès à l’eau, un engagement politique et un nouvel encadrement législatif sont indispensables.

Wattebled Paula. Alternante en communication pour le Service culture scientifique de l'UPJV. Article réalisé pour l'ANR, Thermapolis coordonné par Marie Chabrol.