Comprendre le phénomène des pseudo-gestations chez les chiennes
Publié par Marion Guibourdenche, le 31 juillet 2024 280
Il y a des comportements animaliers qui attisent notre curiosité. La pseudo-gestation, autrement appelée grossesse nerveuse est fréquente chez les chiennes. Elle se caractérise par une augmentation des glandes mammaires, un comportement maternel et une lactation. De nombreuses études ont été menées à ce sujet, une revue de la littérature fait la synthèse de celles-ci (Gobello C. 2021).
Comment s’explique scientifiquement ce phénomène…
La lactation est déclenchée par un déséquilibre hormonal. L’organisme de la chienne produit des hormones comme s’il était en état de grossesse réelle : progestérone et prolactine. La poussée pré-ovulatoire de l'hormone lutéinisante (LH) est cruciale dans le cycle reproducteur des chiennes. L'ovulation se produit environ 48 heures après ce pic de LH, et la phase lutéale suit, marquée par la présence des corps jaunes et la sécrétion de progestérone. Après 30 jours, la sécrétion de progestérone dépend des hormones hypophysaires prolactine et LH. Chez les chiennes non gestantes, le niveau de progestérone atteint son maximum 2 à 3 semaines après l'ovulation, puis diminue lentement jusqu'à la fin du diestrus. En l'absence de lutéolyse, la régression lutéale est un processus passif et lent. La diminution de progestérone pendant le diestrus s'accompagne d'une augmentation de la prolactine. Les niveaux de prolactine augmentent légèrement entre les jours 40 et 90 du cycle, tant chez les chiennes gestantes que non gestantes. La prolactine joue un rôle crucial dans le développement mammaire et le comportement maternel des chiennes. Des études montrent que les chiennes ayant une pseudo gestation observée ont des niveaux de prolactine plus élevés que celles avec une grossesse nerveuse cachée. La recherche a également découvert une diversité des formes de prolactine circulantes, expliquant les différences entre les niveaux mesurés et les signes cliniques observés. Des variations cliniques entre les études peuvent s'expliquer par la prédisposition génétique des races.
Des symptômes de gestation apparaissent…
La pseudo-gestation est un état physiologique où une chienne non-gestante présente des symptômes de grossesse. La grossesse nerveuse se caractérise par l’apparition de signes de grossesse tels que la production de lait, un gonflement abdominal, et même des comportements de nidification. Ce processus est déclenché par des changements hormonaux naturels après la période de chaleur, et bien qu'inhabituel, il est plus commun qu'on le pense. Ce phénomène est fréquemment observé chez les chiennes 6 à 20 semaines (souvent à la 14ème semaine) après leurs chaleurs, mais sans grossesse ultérieure (Concannon PW, Lein DH. 1989). L’œstrus, ou les chaleurs, correspondent à la période durant laquelle une femelle est fécondable et recherche l’accouplement en vue de la reproduction. En cas de doute, une échographie peut être réalisée pour confirmer l'absence de grossesse. Les symptômes sont variables, certaines chiennes ne montreront aucun signe. Les glandes mammaires peuvent être enflées et plus grosses qu’habituellement. Certaines chiennent présentent également des changements dans leurs comportements : agitation, perte d’appétit, agressivité, gémissements excessifs, un léchage des glandes mammaires, un comportement maternel (faire un nid, couver des jouets…). Ces symptômes peuvent s’exacerber après plusieurs pseudo-gestations. À moins que des complications n’apparaissent, les symptômes disparaissent spontanément après 2 à 4 semaines. Cependant, dans certains cas, la grossesse nerveuse peut persister jusqu'aux prochaines chaleurs.
Existe-t-il un traitement ?
Les cas discrets ou bénins ne nécessitent pas de traitement. Les signes de grossesse disparaitront en deux semaines. Il est recommandé de limiter le comportement maternel de la chienne en enlevant ses jouets et en ne touchant pas son ventre et ses mamelles. En cas de présence de symptômes importants, un traitement peut être prescrit pour les atténuer. Il est possible d’avoir recours à des agonistes dopaminergiques (la cabergoline et la bromocriptine) ou des antisérotoninergiques. Les cycles œstraux sont raccourcis chez les chiennes traitées avec des agonistes dopaminergiques. La mètregoline, un autre médicament utilisé, est un antagoniste de la sérotonine, avec un effet dopaminergique à fortes doses. La cabergoline est le médicament le plus prescrit dû au fait de sa bioactivité élevé et sa durée d'action plus longue que les autres agonistes dopaminergiques. De plus, ce produit n’induit pas d’effets secondaires contrairement à la bromocriptine qui peut conduire à des vomissements ou à des troubles du comportement après un traitement à la metergoline. La carbergoline est recommandée à 5 mg/kg PO par jour pendant 5 à 7 jours. Il est important de noter que la survenue d’une grossesse n’empêche pas de futurs épisodes de grossesse nerveuse. (Jochle W, et al., 1989 ; Hamon M., et al., 1981)
Même si ce phénomène est considéré comme un événement physiologique naturel, la pseudo-gestation chez la chienne est problématique pour les chiens et leurs propriétaires. Il reste encore quelques zones d’ombres sur la survenue de cet évènement chez des chiennes plutôt que d’autres. En effet certaines races semblent plus sujettes que d’autres. Nos animaux de compagnie sont sensibles et connectés à nos vies. Ils sont bien plus que des spectateurs de nos vies, ils en font pleinement partie, avec leurs propres émotions et réactions. Leur empathie et leur réactivité peuvent parfois surprendre. D’autres études scientifiques permettront d’apporter des compléments d’informations nécessaires dans les stratégies de diagnostic et de traitements.
Références :
- Concannon PW, Lein DH. Hormonal and clinical correlates of ovarian cycles, ovulation, pseudopregnancy and pregnancy in dogs. In: Kirk R, editor. Current veterinary therapy, small animal practice, vol. X. Philadelphia: WB Saunders Co; 1989. p. 1269e82.
- Gobello C. Revisiting canine pseudocyesis. Theriogenology. 2021 Jun;167:94-98. doi: 10.1016/j.theriogenology.2021.03.014. Epub 2021 Mar 23. PMID: 33799011.
- Hamon M, Mallat M, Herbet A, Nelson DL, Audinot M, Pichat L, Glowinski J. [3H] Metergoline: a new ligand of serotonin receptors in the rat brain. J Neurochem 1981;36(2):613e26. https://doi.org/10.1111/j.1471... 4159.1981.tb01634.x.
- Jochle W, Arbeiter K, Post K, Ballabio R, D € ’Ver AS. Effects on pseudopregnancy, pregnancy and interoestrous intervals of pharmacological suppression of prolactin secretion in female dogs and cats. J Reprod Fertil 1989;(Suppl 39): 199e207. PMID: 2621723.