Après le pétrole, l'agriculture pour nous fournir en matériaux et en énergie ?
Publié par Ombelliscience -, le 18 décembre 2017 11k
On sait très bien que les réserves de pétrole planétaires ne sont pas infinies et sont amenées à se tarir. En parallèle, à cause des émissions de gaz à effet de serre associées à la combustion du pétrole, il paraît essentiel de ne pas attendre l'épuisement des réserves pour agir.
Plus de pétrole... et alors ?
Il peut être difficile de réaliser à quel point l'humanité est dépendante des combustibles fossiles, et du pétrole en particulier. C'est tout d'abord le cas pour ses apports énergétiques : le pétrole occupe la première place dans le mix énergétique mondial devant... le charbon et le gaz.
Souvent, la discussion sur la transition énergétique se concentre sur la production d'électricité. Or, l'énergie ne se résume pas à l'électricité, où le pétrole ne joue qu'un rôle limité à l'échelle mondiale. Par contre dans les transports, qu'ils soient routiers, maritimes ou aériens, les dérivés du pétrole jouissent d'une totale suprématie, rendant possible tous les échanges commerciaux à la base de l'économie mondialisée.
Au-delà de l'énergie, de nombreux matériaux et substances courants sont dérivés du pétrole, issus de ce qu'on appelle la pétrochimie. Citons par exemple tous les plastiques, les textiles synthétiques, et de nombreux composés chimiques retrouvés dans les produits cosmétiques ou pharmaceutiques. Notons d'ailleurs que l'expression "produits chimiques" est un abus de langage désignant couramment les composés chimiques de synthèse ou artificiels, incluant ceux de la pétrochimie.
Parce que le pétrole est un élément central de nos modes de vie modernes, son déclin aura nécessairement des conséquences majeures sur tous les aspects de notre vie quotidienne. Ainsi, il serait avisé de les anticiper dans la mesure du possible. Afin de déterminer une feuille de route pour atteindre une réduction de 75% des émissions nationales d’ici 2050, le gouvernement français a lancé sa stratégie nationale bas carbone en 2015.
Les produits biosourcés comme alternatives ?
En France, les institutions semblent beaucoup miser sur la valorisation de la biomasse. Issue de la matière vivante, comme le pétrole, la biomasse est constituée de composés organiques, permettant d’envisager des utilisations similaires. Les activités économiques d'exploitation de la biomasse provenant de l'agriculture, de la forêt, de la mer ou des déchets sont regroupées sous le terme de bioéconomie. Dans un poster à ce sujet, le ministère de l'Agriculture mentionne explicitement la question de la transition : "[la bioéconomie] crée les conditions du passage d'une économie fondée sur les ressources fossiles à une économie basée sur la biomasse".
Historiquement, la biomasse a toujours fourni des ressources clés pour l'humanité, à commencer par sa nourriture. Mais la biomasse a servi et sert encore à la construction, au chauffage ou à l'habillement avec des ressources clés comme le bois, les peaux, les fibres végétales... L'avantage de la biomasse est qu'elle est in fine produite par l'énergie solaire par le biais de la photosynthèse, que ce soit directement (pour les plantes) ou indirectement (pour les animaux se nourrissant de plantes). Ainsi, sous réserve d'une gestion durable, la biomasse est renouvelable et peu ou pas émettrices de gaz à effet de serre.
Un exemple emblématique et relativement récent d'exploitation de la biomasse concerne le développement de biocarburants : le bioéthanol et le biodiesel actuellement incorporés dans les carburants sont principalement issus de cultures de plantes. Comme expliqué dans un article précédent, le bilan environnemental des biocarburants est très variable et n'est pas systématiquement meilleur que celui des dérivés du pétrole. Il convient donc de garder en tête que le préfixe bio- ne sert qu'à préciser une origine non fossile et ne saurait être synonyme d'écologique.
Des opportunités en Hauts-de-France
En Hauts-de-France, l'agriculture est un secteur très développé, notamment du fait des terres et du climat adaptés à la production de nombreuses cultures. Par ailleurs, des acteurs capables de valoriser les agro-ressources étant implantés en région, il existe un potentiel certain pour le développement de la bioéconomie. La perspective de création de filières locales représente une opportunité en termes socio-économiques pour ces territoires fortement touchés par le déclin industriel structurel.
C'est ainsi qu'a été lancé en 2015 le projet "Réseau de sites démonstrateurs Industries & Agro-Ressources (IAR)" pour la valorisation des agro-ressources à l'échelle de l'ex-région Picardie. Mobilisant une dizaine de partenaires, le projet est piloté par Agro-Transfert Ressources et Territoires et est fortement soutenu au niveau institutionnel.
Au travers de "plateformes d'expérimentation", le projet teste la possibilité d'introduire de nouvelles cultures (agro-ressources) dans les systèmes de cultures présents dans la région. Concrètement, l'idée est d'ajouter ou substituer des cultures valorisables pour des usages non-alimentaires au sein des cycles habituels comme la rotation colza-blé-orge, par exemple. De là, il sera possible d'évaluer les performances agronomique, environnementale et économique des modifications proposées (rendements, biodiversité, émissions de gaz à effet de serre, impact sur la qualité de l’eau...). En parallèle, des industriels locaux sont accompagnés, au sein de "territoires pilotes", pour le développement de filières de la bioéconomie sur le territoire. Le projet s'intéresse notamment à la production de plaquettes de bois agricoles pour des chaudières, de biomasse utilisable dans une unité de méthanisation, et de coproduits de la culture de lin pour une intégration dans des plastiques.
L'objectif est de rechercher les options les plus adaptées aux territoires. D'ici 2020, le projet ambitionne de fournir des outils facilitant les initiatives ultérieures pour la bioéconomie en Hauts-de-France.
Pour répondre aux besoins actuels, il existe de nombreuses autres filières à développer qui n'ont pas été évoquées, comme celles du biogaz, des plastiques biosourcés ou plus largement des molécules pour la chimie. La terre sera-t-elle à même de nous fournir la quantité et la diversité de produits que l'on obtient actuellement à partir du pétrole ? Dans quelle limite cette production ne fera-t-elle pas une concurrence excessive aux usages alimentaires ? Des projets comme celui présenté ici contribuent à apporter des éléments de réponse. Les incertitudes qui demeurent sont toutefois une raison de plus encourageant à réduire nos besoins en énergie et matières premières.
Théo Mathurin