Maladie du “foie gras humain” : une menace croissante pour la santé publique
Publié par Ombelliscience -, le 2 février 2018 13k
C'est une réalité médicale : les humains peuvent eux-aussi avoir le foie "gras", tout comme les canards ou les oies. Cet état peut aussi bien s'avérer bénin que mener à des pathologies et complications pouvant engendrer le décès.
Afin d'échanger autour de cet enjeu de santé publique, Ombelliscience a rencontré Pierre Bauvin, doctorant en biomathématiques travaillant à l’Inserm, au sein du Centre international de recherche sur l’inflammation de Lille (LIRIC).
De la graisse stockée dans les cellules du foie
Avoir le foie gras signifie simplement que de la graisse s'est accumulée dans le foie. Le processus de stockage de ces graisses (triglycérides), à l'intérieur des cellules est appelé stéatose. S'agissant de cellules du foie, on parle de stéatose hépatique : ce phénomène est similaire à celui qui se produit chez le canard ou l'oie pour la fabrication de foie gras, d'où le vocabulaire utilisé. En dehors des stéatoses liées à l'action de certains virus, comme le VIH ou l'hépatite C, on distingue deux grands types de stéatoses hépatiques en fonction des causes et facteurs leur donnant naissance.
L'origine de stéatose la plus connue est l’abus d'alcool, il s'agit de la maladie alcoolique du foie (alcoholic liver disease ou ALD, en anglais). Mais la stéatose hépatique peut aussi survenir indépendamment de la consommation d'alcool, on parle alors de maladie du foie gras non-alcoolique (non-alcoholic fatty liver disease, ou NAFLD, en anglais). Cette forme de stéatose est étroitement associée au surpoids : jusqu'à 90% des personnes obèses sont atteintes de NAFLD. Le fait de grossir, ou bien de rester en surpoids pendant une longue période sont susceptibles d'enclencher un processus de stéatose. Le diabète de type 2 et la résistance à l'insuline sont également d'importants facteurs de risque. La NAFLD est aujourd’hui largement vue comme une manifestation au niveau du foie de ce qu’on appelle le syndrome métabolique.
Évolution de la stéatose et conséquences associées
Si l'ALD est connue du corps médical depuis longtemps, la recherche sur la NAFLD est plus récente, comme l'atteste la remarque de Pierre Bauvin :
Il m'a fallu un an à étudier la littérature scientifique internationale pour avoir les idées claires sur les différentes classifications. Quand on demande aux médecins ce qu'ils entendent par tel ou tel terme, ils ne sont pas tous d'accord !
Il précise également que, du fait des problèmes d'obésité historiquement plus importants aux États-Unis, les chercheurs américains se sont intéressés assez tôt à ce sujet.
Que ce soit dans la version alcoolique ou non-alcoolique, la maladie débute par une stéatose simple, avec la présence de triglycérides dans les cellules du foie. En lui-même, cet état est plutôt bénin, et reste le plus souvent asymptomatique. La progression de la stéatose, variable selon les patients, est décrite par quatre stades d'évolution selon la proportion de tissus touchés.
Le caractère véritablement pathologique survient lorsque la présence de gras entraîne des lésions, avec entre autres une inflammation des tissus : c'est la stéatohépatite, alcoolique (ASH) ou non-alcoolique (NASH), sur laquelle Pierre Bauvin travaille plus particulièrement.
Si la perte durable de poids a fait ses preuves pour faire régresser la maladie, il n'y a pas actuellement de traitement reconnu contre la NASH, même si des expérimentations sont en cours. Ainsi, la situation a tendance à se dégrader chez les patients, qui peuvent avoir une NASH sans le savoir puisque la maladie est souvent sans symptôme apparent. Le risque cardiovasculaire est à l’origine de la plupart des décès.
La progression de la maladie se poursuit avec la formation de cicatrices dans les tissus, il s'agit de la fibrose. Cela peut se produire lors d'une stéatohépatite mais aussi d'une stéatose simple. La situation peut se dégrader jusqu'à la cirrhose du foie, où la portion fonctionnelle du foie diminue, voire disparaît (décompensation). L'endommagement étant irréversible, la seule solution est de recourir à l'intervention délicate de transplantation, qui n’est pas médicalement envisageable pour tous les patients, sans compter la pénurie de greffons. Comme dans le cas alcoolique, la cirrhose peut engendrer hémorragies et problèmes rénaux, ou encore favoriser l'apparition de cancers du foie. Notons que, même sans cirrhose, la stéatose est associée à la survenue de cancers.
La NASH davantage répandue dans le nord de la France
NAFLD et NASH ont fortement progressé sur les dernières décennies, y compris chez l'enfant. On estime qu'un adulte sur quatre dans le monde est atteint de NAFLD, et plutôt un sur trois aux États-Unis. Il n’existe pas de chiffres pour la France, mais il ne fait pas de doute que la tendance est à la hausse, étant donné la progression de l'obésité. En effet, la France semble suivre la trajectoire des États-Unis, avec un certain retard. Le travail de Pierre Bauvin consiste justement à étudier comment progresse la NASH au sein de la population à partir de données statistiques (épidémiologie).
Il se trouve que le nord et l’est de la France sont particulièrement affectés par la NAFLD et la NASH, en cohérence avec la forte prévalence de l'obésité sur ces territoires. “On voit un nombre croissant de patients pris en charge pour une cirrhose induite par la NASH, ce qui s’ajoute au nombre déjà élevé de cirrhoses d’origine alcoolique” indique une interne du service des maladies de l'appareil digestif du CHRU de Lille.
Cette situation préoccupante affecte de façon disproportionnée les populations les moins favorisées : les études concordent par exemple sur le fait que l'obésité est plus répandue au sein des milieux à faibles revenus, en particulier chez les femmes. On comprend ainsi l’importance de la prévention afin d’identifier et prendre en charge les personnes à risque, surtout dans la mesure où la NASH est souvent silencieuse. En parallèle, la recherche médicale se poursuit afin de trouver une solution thérapeutique efficace. Notamment, un laboratoire situé sur le parc Eurasanté de Lille mène actuellement un essai clinique mondial sur son produit le plus avancé.
Théo Mathurin