Un nouvel outil de lutte contre les bactéries à l’hôpital : le laiton

Publié par Fête de la science en Hauts-de-France, le 6 novembre 2020   2.1k

Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science 2020 (du 2 au 12 octobre 2020 en métropole et du 6 au 16 novembre en Corse, en outre-mer et à l’international) dont The Conversation France est partenaire.


Les infections associées aux soins combinées à l’antibiorésistance bactérienne sont un enjeu majeur de santé publique. Une infection associée aux soins (IAS) se définit comme une infection survenue au cours d’une prise en charge (diagnostique, thérapeutique, palliative, préventive ou éducative) d’un patient, et si elle n’était ni présente, ni en incubation au début de la prise en charge. Les personnes infectées possèdent généralement une immunité affaiblie : séniors, enfants prématurés, ou encore atteintes de maladies ou recevant un traitement entraînant une déficience immunitaire (cancer, infection par le virus de l’immunodéficience humaine…) ou ayant récemment subi une opération. Différents types de microorganismes sont responsables de ces infections : virus, champignons ou encore bactéries.

Les IAS représentent un coût non négligeable à l’échelle économique mais également à l’échelle humaine. En effet, elles ont pour conséquences de prolonger le séjour du patient infecté, d’augmenter les coûts liés aux soins et d’accroître le risque de transfert du microorganisme responsable de l’IAS au sein de l’hôpital. Ainsi, un rapport du Sénat de 2006 estimait l’allongement moyen de la durée de séjour à 4 jours. Le coût supplémentaire était quant à lui évalué entre 340 euros (infection urinaire) et 40 000 euros (bactériémie sévère avec admission en réanimation).

De plus, d’après la dernière enquête nationale de prévalence des IAS et des traitements anti-infectieux en établissements de santé de 2017, les IAS touchent 1 patient sur 20 et engendrent 3500 à 9000 décès chaque année en France.

Parmi les microorganismes qui en sont à l’origine, intéressons-nous aux bactéries. Celles-ci peuvent être naturellement résistantes ou avoir acquis de nouvelles résistances aux antibiotiques. En secteur hospitalier, l’importance de ces résistances se traduit parfois par une impasse thérapeutique si un patient est infecté par une bactérie les ayant accumulées. La bactérie est alors qualifiée de multirésistante. Au sein des bactéries multirésistantes, sept espèces ont plus particulièrement été pointées du doigt car majoritairement à l’origine d’IAS pouvant déboucher sur d’importantes difficultés de traitement, constituant ainsi un enjeu majeur de santé publique. Elles sont qualifiées de bactéries ESKAPEE (Enterococcus faeciumStaphylococcus aureusKlebsiella pneumoniaeAcinetobacter baumanniiPseudomonas aeruginosaEnterobacter spp. et Escherichia coli) en raison de leur propension à échapper aux traitements antibiotiques actuels.

Cette thématique est l’un des sujets phares des projets de recherche du laboratoire AGIR (Agents infectieux et chimiothérapie de l’Université de Picardie Jules Verne) et est au cœur d’une collaboration public/privé avec la société FAVI.

La transmission des microorganismes responsables d’IAS peut avoir de multiples origines. Les surfaces de contacts sont l’une d’entre elles. En effet, les bactéries ont la capacité de survivre de quelques jours à quelques mois sur une surface inerte (poignées de porte, chariots d’hôpital, rails de lits, siphons d’évier…) et ainsi être source d’infection. Aux méthodes déjà existantes pour contrer ce type de contaminations comme le bionettoyage régulier des surfaces et les protocoles d’hygiène des mains, une autre mesure complémentaire envisagée repose sur des surfaces antimicrobiennes « auto-nettoyantes » à base de cuivre.

Le cuivre : une substance à activité antibactérienne

L’utilisation du cuivre comme antimicrobien en santé humaine est retrouvée dès l’Antiquité avec des mentions dans d’anciens ouvrages comme le papyrus Edwin Smith (environ 2400 avant Jésus Christ) ou encore le papyrus Ebers (environ 1500 avant Jésus Christ). Actuellement, de nombreuses études axées sur l’hygiène hospitalière s’intéressent aux propriétés antimicrobiennes du cuivre et de ses alliages (laiton et bronze plus particulièrement) utilisés comme matériau de substitution de l’acier inoxydable pour des surfaces de contact dans l’environnement hospitalier.

Une surface renfermant du cuivre va, au contact de la bactérie, provoquer un phénomène appelé contact killing induisant la mort de la bactérie. Ce phénomène, par le biais des ions de cuivre émanant de la surface, engendre un stress oxydatif et induit la perméabilité de la cellule bactérienne mais aussi l’oxydation de protéines et du matériel génétique.

Si ces mécanismes clefs ont pu être démontrés, l’ordre dans lequel ils se tiennent reste encore à établir clairement. Les essais rapportés dans l’ensemble de la littérature pour différents alliages de cuivre confirment leur efficacité antimicrobienne en laboratoire avec des protocoles très divers sur des souches de plusieurs espèces bactériennes, principalement issues de collections. Toutefois, ces souches ne sont pas forcément représentatives des souches de l’environnement hospitalier et, dans la littérature, des variations de « comportement » (profil de résistances, par exemple) entre différentes souches cliniques au sein d’une même espèce bactérienne peuvent être observées.

Aussi, afin de limiter la diversité des protocoles pour évaluer l’effet antibactérien de surfaces non poreuses telles que celles en alliages de cuivre, la standardisation de la méthodologie s’est avérée nécessaire. Avant mai 2019, l’absence de méthodes standardisées en France a ainsi induit une multitude d’essais utilisant des conditions expérimentales et des souches différentes aboutissant à des résultats sur l’activité antibactérienne de ces surfaces non comparables d’une étude à l’autre.

De nombreux facteurs importants tels que la température et l’hygrométrie pendant la période d’exposition à la surface, la présence d’une charge organique simulant une salissure, la rugosité ou encore l’oxydation de l’alliage peuvent impacter l’efficacité de la surface antimicrobienne. Certaines études reprenaient le protocole standardisé émis par l’EPA (Agence de protection de l’environnement des États-Unis) en 2008 et actualisé en 2016. Cependant, ce protocole restait difficile à mettre en place techniquement en routine au sein d’un laboratoire. En mai 2019, l’association française de normalisation (AFNOR) a publié la norme NF S90-700 afin d’évaluer de façon standardisée l’effet bactéricide de surfaces non poreuses.

Le laiton AB+ : un alliage antibactérien complémentaire au bionettoyage

La collaboration entre la société FAVI et le laboratoire AGIR s’est inspirée des méthodes de l’EPA et de l’AFNOR pour valider une méthode mesurant l’efficacité antibactérienne des alliages de cuivre dans des conditions de « worst case » (la pire des conditions) adaptées à un environnement hospitalier.

Cette méthode a permis la vérification de l’efficacité réalisée sur le laiton AB+ sur 12 souches bactériennes antibiorésistantes issues de l’environnement hospitalier avec un temps de contact bref (5 min) et le dépôt d’une quantité équivalente à un million d’unités formant colonies bactériennes pour un microlitre mimant par exemple une contamination par postillon. Les résultats d’efficacité du laiton AB+ sur ces souches bactériennes ont montré une réduction atteignant au minimum 99 % de la quantité bactérienne déposée pour l’ensemble du panel de souches testé. Ces résultats sont en adéquation avec le seuil d’efficacité recommandé par la norme NF S90-700 et confirment un effet antibactérien en cinq minutes du laiton AB+ sur les souches bactériennes antibiorésistantes ainsi que l’absence de résistances croisées entre cuivre et antibiotiques pour ces souches.

En pratique, l’utilisation de surfaces en alliage de cuivre reste encore minoritaire en milieu hospitalier. Les études rapportant leur efficacité en termes de réduction de la quantité de bactéries présentes sur les surfaces et/ou d’incidence des IAS dans les services hospitaliers sont peu nombreuses et leurs résultats controversés. Des études de terrain menées avec une méthodologie rigoureuse restent indispensables afin de confirmer l’usage du laiton comme une arme supplémentaire dans la lutte contre les IAS.



Article de  Doctorante en Microbiologie, Université de Picardie Jules Verne

et  Microbiologie, Université de Picardie Jules Verne

Cet article a été co-écrit avec Corinne Lacquemant, chef de Projet R&D chez FAVI

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.