Comment l’imagerie satellite participe à la protection et à la gestion de notre littoral ?
Publié par Fête de la science en Hauts-de-France, le 4 décembre 2020 1.4k
Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science 2020 (du 2 au 12 octobre 2020 en métropole et du 6 au 16 novembre en Corse, en outre-mer et à l’international) dont The Conversation France est partenaire.
L’érosion de la côte française est une menace croissante pour les communes côtières. Il y a en France métropolitaine 920 kilomètres de littoral en érosion, soit 20 % du littoral métropolitain. Pour mieux comprendre l’évolution rapide de l’érosion, et pour satisfaire la demande croissante d’études d’impacts par des acteurs locaux, nous améliorons nos outils de suivi du littoral.
Aller sur le terrain
Dans les départements littoraux, 700 000 hectares sont situés sous le niveau pouvant être atteint par la mer en période extrême. Pour « maintenir le trait de côte », les autorités peuvent mobiliser différentes stratégies, par exemple la construction de digues. Ceci intervient généralement après que des acteurs locaux, comme une association, la mairie, la préfecture, demandent différentes analyses et un bilan de la situation, qui nécessitent une connaissance du terrain.
Les études de terrain comprennent des prélèvements, des inventaires de la faune et de la flore, des mesures de topographie, granulométrie et courants par exemple. Elles peuvent être limitées par le manque d’accessibilité à une zone donnée, par des contraintes imposées par les marées ou encore par une météo capricieuse.
De plus, ces analyses demandent un traitement de données qui peut être plus ou moins long en fonction du protocole, du nombre de personnes mobilisées et du nombre d’échantillons prélevés ou de mesures réalisées. Par conséquent, le prix d’une demande d’étude peut vite augmenter en fonction de tous ces paramètres, ce qui peut être décourageant pour des localités ou associations avec peu de moyens.
D’où la question de trouver de nouveaux moyens pour connaître et comprendre le littoral. En particulier, j’explique ici comment les données satellites peuvent être utilisées afin de pallier aux problèmes logistiques et budgétaires des analyses de terrains, et comment elles peuvent être un gain de temps dans la prise de décision dans le cadre d’une stratégie de défense contre l’érosion.
Observer depuis l’espace
Une des solutions proposées est l’utilisation de satellites – ils offrent la possibilité de combler les lacunes et/ou le manque de représentativité des données obtenues sur le terrain.
Depuis la fin du XXe siècle et l’avènement des systèmes d’information géographique, de nombreux chercheurs et chercheuses étudient des phénomènes naturels grâce aux données satellite, par exemple, dans mon domaine, le déplacement des chenaux du delta de la rivière Jaune ou la quantité de biomasse dans la baie de Bourgneuf, en France.
Les satellites peuvent être comparés à des appareils photo, partant du principe qu’il capte une image un instant donné. Comme l’œil humain, la photographie « ordinaire » acquiert une composition d’images rouge, vert et bleu superposées. L’imagerie satellite est aussi capable d’enregistrer, en plus des gammes visibles, dans les gammes de l’ultraviolet et dans l’infrarouge.
De nombreuses plates-formes satellitaires acquièrent des données depuis 1972. Si certaines données sont accessibles moyennant une redevance, d’autres images peuvent être obtenues gratuitement puisqu’elles sont financées par des fonds publics, par exemple Sentinel-2, un satellite dont le programme Copernicus est financé par l’Union européenne. Le téléchargement pour une image satellite prend environ 5 ou 10 minutes selon la connexion et la taille de l’image. Des traitements d’images sont réalisés – correction des effets de l’atmosphère, calibration, entre autres – si la donnée n’est pas mise à disposition des utilisateurs déjà traitée, ce qui est rare aujourd’hui.
Les couleurs contenues dans les images satellites renseignent sur l’état du sol
Les données sont composées d’une multitude de « bandes » permettant de visualiser le rayonnement dans les différentes longueurs d’onde du spectre de la lumière. Pour une zone donnée, certaines bandes possèdent des valeurs plus ou moins importantes. Par exemple, pour la bande infrarouge, l’intensité sera d’autant plus faible que l’humidité du sol sera grande, car l’eau absorbe le rayonnement infrarouge, ce qui réduit la réflexion de ces rayons lumineux vers le satellite. Au contraire, la végétation réfléchit l’infrarouge plus qu’elle ne l’absorbe et présente donc une intensité plus importante pour la bande infrarouge.
Ce constat est partagé pour chaque bande et pour chaque entité. Plus l’entité absorbe de lumière, à une longueur d’onde donnée, moins elle sera réfléchie. Ainsi lorsque ces bandes sont assemblées dans un diagramme, une signature spectrale est retrouvée. Par exemple, la végétation présente de la chlorophylle, qui absorbe la lumière rouge – ce qui explique que nous la voyons verte. De plus, la végétation reflète fortement dans l’infrarouge. On obtient un spectre avec une baisse du rouge et un rebond net dans l’infrarouge. Autre exemple : l’eau absorbe l’infrarouge et reflète bleu et vert. Le spectre montrera un signal caractéristique montrant une ligne décroissante avec l’augmentation de la longueur d’onde (le rouge correspond aux grandes longueurs d’onde).
La baie d’Authie, un exemple de diagnostic couplé entre terrain et satellite
Berck-sur-Mer est située à côté de la baie d’Authie, dans les Hauts-de-France, dont l’érosion de la rive nord menace de nombreux foyers et des édifices patrimoniaux comme l’hôpital maritime. De nombreuses études d’impact ont été réalisées depuis de le XIXe siècle et des édifices de défenses ont été construits : digues, épis (structures proches des digues met mises perpendiculairement à la côte), enrochement. On retrouve bien sûr dans les images satellites ce qui est constaté sur le terrain : une zone en érosion et une autre en « accumulation », c’est-à-dire là où les sables et les vases s’accumulent.
L’hypothèse serait que lorsque la marée monte, le courant qui l’accompagne érode la zone et le sable transporté est déposé plus loin dans la zone en accumulation. Pour vérifier cette hypothèse sur le terrain, il faudrait envoyer une équipe sur place, à marée descendante, pour collecter des sédiments environ tous les 10 mètres du nord au sud et d’ouest en est. Cela représente un temps de collecte important et l’analyse de la taille du grain moyen, la « granulométrie », prend en sus environ 4 minutes par échantillon. Le but après la collecte étant de déterminer le transport du sédiment. Ce protocole est à répéter autant de fois que nécessaire pour avoir une représentativité du transport au sein de ces zones.
C’est là qu’intervient l’imagerie satellite. Après le téléchargement, un algorithme est appliqué à l’image pour avoir une carte des propriétés granulométriques pour déterminer le transport sédimentaire. Le résultat est obtenu en une petite dizaine de minutes par image.
Voici un exemple, parmi d’autres, pour illustrer l’intégration de l’imagerie satellite dans les études d’impacts. Les avantages sont la possibilité de faire une étude intégrant des données passées, car les acquisitions satellites, depuis 1972, sont stockées dans des « data-centre » sans limites de stockage, et un gain de temps important. Ainsi la reproductibilité et la rapidité de cet outil aboutiraient à la possibilité d’informer les décisions plus rapidement et donc de revoir les stratégies mises en place, de manière continue, avec des coûts réduits.
Doctorant en télédétection littoral, Université Littoral Côte d'Opale
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.