Playful city

Publié par Ombelliscience -, le 16 février 2021   7.8k

« Peut-on bien vivre en ville ? » c’est une des questions posées aujourd’hui aux designers urbains qui doivent imaginer les villes de demain.

Le concept de Playful city s’est fondée sur une collaboration active entre les étudiants, les citoyens, les acteurs de la ville et les chercheurs de l’Université de Lille pour proposer une planification urbaine, intégrant les nouvelles technologies et la gamification sociale. Mon travail de recherche vise spécifiquement à évaluer, à améliorer et à terme, à valider cette planification urbaine centrée sur l’humain. Projet pluridisciplinaire de nature, mon travail de recherche vise à utiliser les outils de la psychologie expérimentale et des neurosciences pour créer des outils utiles et utilisables par les designers urbains. En m’inspirant de mon expérience en tant que designer UX (désigner pour tout ce qui concerne l'Expérience Utilisateur), mes créations offriront à la Métropole Européenne de Lille (MEL) des environnements sensoriels nouveaux et surprenants, pour promouvoir l’envie de marcher.

Design Urbain - Bien-être - Mobilité douce

La mobilité douce, comme la marche, améliore l’humeur (Robertson et al., 2012), combat l’obésité (Pucher et al., 2010) et agit comme prévention de nombreuses maladies chroniques (Amy et al., 1999; Gregg et al., 2003). Néanmoins, le mode de vie sédentaire s’installe comme norme dans nos sociétés modernes. L’organisation mondiale de la santé recommande 30 minutes de marche modérée par jour (Bauman et al., 2008). Toutefois, les citoyens ne suivent pas cette recommandation. La question au départ de mon projet de thèse était donc de savoir comment concevoir des villes pour motiver et engager les citoyens dans une mobilité spontanée au quotidien, afin d’améliorer bien-être psychologique, physique et émotionnel.

Les espaces verts, comme les parcs et les forêts (Neuvonen et al., 2007; Takano et al., 2002), les aires de jeux (Ridgers et al., 2007) affectent positivement nos décisions à s’engager dans une séance d’activité physique. Ces résultats peuvent être traduits en solutions design urbain pour promouvoir l’idée de mobilité douce. Ainsi, le projet Playful City, porté par la professeure Yvonne N. Delevoye-Turrell du laboratoire SCALab (CNRS, UMR 9193, Université de Lille) s’intéresse à ces interventions sociétales et propose des méthodologies de recherche pour démontrer l’impact du design urbain sur la mobilité spontanée et le bien-être des citoyens.

Classiquement, la recherche académique mène des travaux dans des environnements contrôlés et stériles, c’est-à-dire en laboratoire. Mais cette approche présente des limites importantes. La science d’aujourd’hui ne sait pas vraiment si les résultats obtenus en laboratoire seront confirmés dans des environnements réels. 

Grâce aux villes intelligentes et aux objets connectés, il est possible de mesurer le comportement humain en temps réel dans de vrais environnements. Mon travail de recherche est le point de départ de ce laboratoire ouvert sur la ville, incorporant des outils neuroscientifiques pour tester l’impact de différents scénarios de design urbain sur le bien-être perçu et réel des citoyens.

Co-création avec les utilisateurs


Figure 1: Collaboration active pour récolter auprès des étudiants leur routine de marche spontanée 

La première phase a consisté à organiser des ateliers avec les utilisateurs pour imaginer des sentiers pédestres ludiques donnant envie de se promener à travers le campus universitaire de Cité Scientifique (Villeneuve d’Ascq). La co-création est un processus collaboratif actif, créatif et social entre producteurs et utilisateurs visant à créer ou améliorer un produit ou un service (Piller et al., 2010). La méthode de co-design facilite la génération d'idées avec une perspective plus globale d’un problème et libérant l’émergence de solutions multiples (Mitchell et al., 2016). Ainsi, nous avons appliqué le principe de collaboration active (Figure 1) afin de trouver une réponse au problème d’inactivité caractérisant la population étudiante. 

Plusieurs ateliers ont été organisés en 2019 pour échanger avec les étudiants, le personnel et les décideurs politiques de l’Université de Lille. L’objectif de cette phase était de comprendre les besoins et les freins des utilisateurs, et de concevoir des prototypes cohérents avec le projet de Campus 2022. Plusieurs parcours colorés, de 30 minutes de marche, ont ainsi été créés afin d'amener la population universitaire à découvrir les espaces moins fréquentés du campus, comme les installations sportives, les espaces verts et les jardins.

Tests des designs en réalité virtuelle

  

   

Figure 2 : Découverte en réalité virtuelle du bâtiment de Lilliad Learning Center Innovation, Université de Lille, campus Cité Scientifique.

 

La deuxième phase du projet a consisté à tester ces parcours dans un environnement virtuel immersif. Les parcours étaient complétés par différents scénarios designs en se focalisant autour du bâtiment emblématique de Lilliad (Figure 2), avec la participation de la startup Vertical. La mesure de l’impact de ces designs sur l’utilisateur a été réalisée grâce à l’accompagnement technique des ingénieurs de la plateforme IrDive (Equipex 2011). 


Figure 3 :

Exemples des designs colorés utilisés dans l’étude expérimentale menée en réalité virtuelle, contrastant les effets de la présence ou pas de nature (haut) et des caractéristiques des designs colorés (bas)

Ces évaluations comportementales ont permis de caractériser l’impact de différents environnements colorés (Figure 3) sur les stratégies d’explorations visuelles, de fréquence de marche spontanée mais également d’état psychologique et émotionnel des participants (article soumis pour publication dans Frontiers in Psychology, à paraître en Juin 2021). Ces paramètres nous ont permis de sélectionner les designs les plus adéquats à implémenter en milieu réel en considérant les contraintes et les particularités de l’environnement urbain offert par le Campus Cité Scientifique.

La réalité virtuelle est un environnement artificiel qui imite le réel autant que possible. Elle permet d’évaluer les ressentis et de mesurer les comportements d’une personne dans un environnement 3D, tout en contrôlant la nature des éléments présentés. Cet outils, baptisé Playful-City VR, est maintenant disponible pour les designers urbains afin de co-créer des environnements centrés sur l’humain, en minimisant les risques (de calendrier, financiers et sanitaires).


Transfert en milieu naturel

La troisième phase du projet a été menée en milieu naturel. À partir des résultats obtenus en réalité virtuelle, les designs ayant eu un impact positif sur les préférences de l'utilisateur, sur la cadence de marche, sur le bien-être ressenti et sur la facilitation à s’orienter ont été sélectionnés pour être implémentés sur le campus.

   

Figure 4 :

La ligne verte est dotée de motifs simples et entrelacés pour ralentir la cadence et découvrir les espaces verts (gauche) ; la ligne bleue inclue des blocs colorés et des patterns ludiques (droite) pour entraîner les utilisateurs vers les bâtiments d’enseignements et les lieux culturels de l’Université.

Deux parcours colorés et ludiques ont été réalisés en collaboration avec le département de SUAPS de l’Université de Lille (M.Garcin), le Studio Lebleu (Paris) et la Condition Publique (Roubaix). Chaque parcours était dimensionné pour offrir 30 minutes de marche. Ils incorporaient des scénarios contrastés sur le plan des couleurs, des formes ludiques mais également des points d’intérêts visités (Figure 4).


Figure 5 : Des lignes de couleurs contrastées pour inviter les étudiants à découvrir le plaisir de marcher 

Une ligne verte aux motifs simples et entrelacés conduit les utilisateurs à travers les espaces verts, les jardins associatifs et également, les installations sportives (Figure 5). Une ligne bleue accompagne les utilisateurs vers les bâtiments d’enseignements et les lieux culturels de l’Université.

Aucune explication n’était donnée aux utilisateurs. Ces designs sont apparus un beau matin de juin 2019 pour colorer les lieux. Des compteurs piétons automatiques ont été mis en place en amont aux points clés du parcours. Ainsi nous avons pu quantifier que les designs ont eu un impact significatif sur le flux piétonnier, avec une augmentation de fréquentations des lieux délaissés.

Mesures scientifiques en milieu naturel

Afin de confirmer l’impact des différents scénarios de design urbain sur le bien-être perçu et réel des étudiants, une étude contrôlée a été menée. Cette recherche a été déclarée au Comité d’Éthique de la Recherche (CER) de l’Université de Lille (référence : 2019-328-S68) et a impliqué la participation de 28 adultes ayant donné leur consentement éclairé avant inclusion.

Nous avons posé les hypothèses selon lesquelles les scénarios designs permettraient (1) de faciliter et d’augmenter l’agréabilité de la marche spontanée sur le campus ; (2) que la découverte des espaces verts de l’Université (ligne verte) aurait des effets bénéfiques sur l’état de bien-être réel et perçu des participants. 


Figure 6 : Image d’une séance expérimentale en milieu naturel invitant une participante à découvrir le campus de l’Université en portant une montre connectée permettant d’enregistrer ses états émotionnels.

 

Pour répondre à ces questions, le bracelet intelligent AffectTAG a été remis aux participants (Figure 6 ; collaboration avec la startup Neotrope). Nous avons ainsi pu mesurer la fréquence et variabilité cardiaque, la densité et la puissance émotionnelle ; Des questionnaires sur tablette ont permis de collecter les niveaux perçus de plaisir et de bien-être. Les participants ont été invités à passer l'expérience deux fois : une fois avant et une fois après l’implémentation des designs colorés par la Condition Publique.

Constatations notables

Mener des études scientifiques en milieu naturel n’est pas chose facile puisqu’il faut s’adapter aux aléas météorologiques. Cependant, les résultats sont notables. En effet, des changements de cadence de marche, de plaisir et de ressentis de bien-être ont été observés notamment dans la zone verte du campus (espaces ouverts des terrains de football ; forêt et jardins du campus).

Le détail des résultats paraîtra en 2021 (Journal of Environmental Psychology), mais nos mesures confirment, globalement, que la nature peut déclencher des expériences affectives positives. Les couleurs offrent la perception d’un environnement plus sécure et propre. Des interventions ludiques peuvent transformer la marche en une expérience plus agréable. C’est ainsi que nous avons mis en évidence des différences significatives dans les niveaux de valence perçue (un indicateur de plaisir) pour l’environnement transformé. Le marquage au sol facilite la navigation dans des zones inconnues et encourage à s’y engager. Les indicateurs objectifs ont confirmé que les interventions ont diminué de manière significative la charge cognitive (un indicateur d’effort) pour traverser les routes et prendre des décisions aux croisements de carrefours.

Leçons pour l’aménagement urbain

 

Mes travaux de recherche ont mis en lumière l’importance de la trans-disciplinarité. Les principes de co-conception associés à l’innovation – réalité virtuelle et bracelets connectés - ont permis de créer une méthodologie puissante, permettant de prototyper des designs urbains centrés sur l’humain. Nous rapportons un Proof Of Concept (POC) démontrant que les outils de recherche peuvent être transférés et utilisés à l’extérieur des murs du laboratoire pour tester et mesurer ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas en design. Les interventions temporaires sont des approches peu coûteuses qui sont faciles à mettre en œuvre ; elles peuvent donner des indications précieuses sur les éléments de conception urbaine qui peuvent influencer le comportement spontané d’une personne.

Les méthodes de recherche doivent à l’avenir être pris en compte dans les politiques de la ville. En effet, l’architecture de la ville urbaine impacte la qualité de vie de la population. Les villes devraient donc envisager de soutenir la création de prototypes, mais aussi mesurer et tester les solutions de design avant de les rendre permanentes.

Notre projet permettrait de prioriser la transformation de l’espace public pour promouvoir le bien-être et l’activité physique de leurs citoyens. Grâce à des transformations sensorielles, de part une intervention colorée et ludique, il serait possible d’orienter les citoyens vers les lieux délaissés comme les aires de jeux, les gymnases, les parcs et les centres culturels. Un parcours citoyen pourrait même être imaginé pour favoriser la visite de magasins locaux pour soutenir les producteurs locaux ! 

Article réalisé par Adamantia Batistatou dans le cadre de la mission doctorale « Science société » mise en place par Ombelliscience et l’Université de Lille.

Adamantia est doctorante en troisième année de thèse, dans le département de psychologie au laboratoire CNRS 9193, SCALab, Université de Lille sous la direction de Prof. Dr. Yvonne N. Delevoye-Turrell. Son projet de thèse est financé par la Métropole Européenne de Lille.

Sujet de thèse : « Motiver les citoyens à l'activité physique par le plaisir : méthodologie de recherche pour transformer les environnements urbains en espaces ludiques. »

https://twitter.com/PlayfulLil...


 



Références :

Amy, Curb J. David, Petrovitch Helen, Rodriguez Beatriz L., Yano Katsuhiko, Ross G. Webster, White Lon R., & Abbott Robert D. (1999). Effects of Walking on Coronary Heart Disease in Elderly Men. Circulation, 100(1), 9–13. https://doi.org/10.1161/01.CIR...

Bauman, A. E., Waqanivalu, T., & Phongsavan, P. (2008). Pacific physical activity guidelines for adults: Framework for accelerating the communication of physical activity guidelines.

Gregg, E. W., Gerzoff, R. B., Caspersen, C. J., Williamson, D. F., & Narayan, K. M. V. (2003). Relationship of Walking to Mortality Among US Adults With Diabetes. Archives of Internal Medicine, 163(12), 1440–1447. https://doi.org/10.1001/archin...

Mitchell, V., Ross, T., May, A., Sims, R., & Parker, C. (2016). Empirical investigation of the impact of using co-design methods when generating proposals for sustainable travel solutions. CoDesign, 12(4), 205–220. https://doi.org/10.1080/157108...

Neuvonen, M., Sievänen, T., Tönnes, S., & Koskela, T. (2007). Access to green areas and the frequency of visits – A case study in Helsinki. Urban Forestry & Urban Greening, 6(4), 235–247. https://doi.org/10.1016/j.ufug...

Piller, F., Ihl, C., & Vossen, A. (2010). A Typology of Customer Co-Creation in the Innovation Process. In SSRN Electronic Journal (Vol. 4). https://doi.org/10.2139/ssrn.1...

Pucher, J., Buehler, R., Bassett, D. R., & Dannenberg, A. L. (2010). Walking and Cycling to Health: A Comparative Analysis of City, State, and International Data. American Journal of Public Health, 100(10), 1986–1992. https://doi.org/10.2105/AJPH.2...

Ridgers, N. D., Stratton, G., Fairclough, S. J., & Twisk, J. W. R. (2007). Long-term effects of a playground markings and physical structures on children’s recess physical activity levels. Preventive Medicine, 44(5), 393–397. https://doi.org/10.1016/j.ypme...

Robertson, R., Robertson, A., Jepson, R., & Maxwell, M. (2012). Walking for depression or depressive symptoms: A systematic review and meta-analysis. Mental Health and Physical Activity, 5(1), 66–75. https://doi.org/10.1016/j.mhpa...

Takano, T., Nakamura, K., & Watanabe, M. (2002). Urban residential environments and senior citizens’ longevity in megacity areas: The importance of walkable green spaces. Journal of Epidemiology & Community Health, 56(12), 913–918. https://doi.org/10.1136/jech.5...