La fraicheur du microclimat forestier face aux impacts du changement climatique
Publié par Ombelliscience -, le 8 janvier 2021 6.1k
Le microclimat forestier, on l’a tous déjà ressenti.
Imaginez-vous.
C’est l’été, et vous décidez de partir vous promener à travers la campagne. Vous avancez le long d’un sentier, sous un soleil écrasant. « J’aurais dû prendre ma casquette ! », pensez-vous, dépité. Mais juste au moment où vous commenciez à vraiment regretter votre voiture climatisée, vous réalisez que le sentier mène à une forêt…
Une fois sous les arbres, c’est une toute autre ambiance. On entend un grimpereau des bois, et même un pic-vert. Vous respirez un grand coup : il fait bien frais ici, n’est-ce pas ?
Les promeneurs le savent bien : il fait plus frais en forêt qu’à découvert pendant la journée. Les scientifiques le confirment, et précisent que la température maximale journalière est diminuée de 4°C en moyenne en forêt (et jusqu’à 15°C de différence avec l’extérieur !). Un peu moins connu, il y fait légèrement plus chaud la nuit : la température minimale y est augmentée d’en moyenne 1°C (De Frenne et al. 2019).
Le couvert arboré « tamponne » donc les températures, créant un microclimat forestier. Ce super-pouvoir isolant de la forêt dépend notamment de la hauteur, de la densité et du recouvrement de la canopée, un peu comme l’épaisseur et la qualité de l’isolation sur les murs des maisons.
Comment la forêt peut-elle être si efficace pour tamponner la température ? Il y a déjà bien sûr l’ombre des arbres : le feuillage intercepte une grande partie des radiations solaires directes.
Mais ce n’est pas tout ! Les arbres transpirent au niveau de leurs feuilles… En humidifiant l’air ambiant, ils le rafraîchissent. L’ensemble de la structure de la forêt atténue aussi le vent, qui est dissipé par les branches et le feuillage. La nuit, les arbres retiennent la chaleur comme le ferait une couverture, en gardant une partie de la chaleur accumulée pendant la journée. Tous ces phénomènes participent à créer un microclimat forestier.
Au fait, qu’entend-on par « microclimat » ?
Ce sont les conditions climatiques locales (température, humidité…) qui se distinguent du « macroclimat ». Le macroclimat est le climat général qui est typiquement mesuré à partir des stations Météo France, toujours en zone ouverte. L’échelle considérée distingue le macroclimat du microclimat, avec entre les deux le topoclimat :
- Le macroclimat est décrit à large échelle (plusieurs kilomètres, jusqu’à une région voire un pays). Entre autres facteurs, la distance au bord de mer ou encore la latitude (de l’équateur aux pôles) vont influencer le macroclimat.
- Le topoclimat est à une échelle intermédiaire (quelques centaines de mètre à quelques kilomètres). Il est particulièrement lié à la topographie (le relief).
- Le microclimat se joue à très fine échelle (quelques centimètres à quelques mètres) : ce sont les conditions climatiques qui sont réellement ressenties par les êtres vivants : plantes, fourmis, écureuils, champignons… Le microclimat est influencé en particulier par la microtopographie (par exemple un ravin, ou un talus exposé au Sud), la présence d’eau (comme un lac ou un ruisseau à proximité) et la végétation (arbres, arbustes…).
L'impact du microclimat sur le fonctionnement des écosystèmes et les services écosystémiques rendus est majeur. Les études sur le microclimat ont d’ailleurs débuté il y a bien longtemps (voir par exemple l’ouvrage de Geiger « Climate near the ground », dont la première édition fût publiée en 1927) mais ce sujet suscite actuellement un nouvel engouement chez les écologues…
Pourquoi ? Premièrement, grâce aux avancées technologiques récentes, par exemple le développement de capteurs miniatures de température ou d’humidité que l’on peut laisser plusieurs années sur le terrain, ou du LiDAR (Light Detection And Ranging) qui permet de scanner la surface en 3D à l’aide d’un laser, et donc de décrire finement le relief et la structure de la végétation.
Et deuxièmement, cet intérêt renouvelé pour le microclimat s’explique par une prise de conscience de l’intérêt d’étudier le microclimat dans le contexte du changement climatique, car les modèles de redistribution d’espèces (prédiction de leur future aire de répartition) ignorent encore souvent cette composante. En effet, ces modèles se basent généralement sur de larges grilles de température peu précises (avec des cases d’1 km² au mieux), calculées à partir de données issues de stations météos, qui sont systématiquement placées en dehors de la forêt !
L’étude récente de Zellweger et al. (2020) a fait la couverture de la célèbre revue « Science » - preuve de la popularité actuelle du microclimat. Les auteurs ont montré qu’au cours des dernières décennies, la canopée forestière a eu un rôle plus important que le réchauffement climatique sur les changements observés dans la composition de la flore du sous-bois en Europe. En « isolant » le sous-bois du réchauffement global, la forêt laisse à la biodiversité sous-jacente davantage de temps pour s’adapter au changement climatique.
La forêt pourrait ainsi représenter une zone de microrefuge, et diminuer le taux d’extinctions d’espèces liées au réchauffement global en cours...
Je suis doctorante au CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique), dans l’unité EDYSAN à l'Université d'Amiens (UPJV). Vous l’avez compris, j’étudie le microclimat forestier dans le contexte du changement climatique. Mes travaux de thèse sont financés par l’Agence Nationale de la Recherche, dans le cadre du projet de recherche IMPRINT. Je serai aussi amenée à travailler sur les données d’autres projets de l’unité autour du microclimat forestier, notamment en forêt de Compiègne dans l'Oise.
Centré sur les forêts feuillues françaises, le projet IMPRINT a pour objectif d’améliorer les connaissances sur l’évolution des conditions climatiques du sous-bois, d’explorer le lien entre microclimat et biodiversité forestière (flore, arthropodes), et de s’interroger sur les méthodes de gestion forestière permettant de conserver un microclimat protecteur face au changement climatique.
Le projet est porté par une équipe pluridisciplinaire : chercheur, enseignants-chercheurs, ingénieurs qui y consacrent une partie de leur temps, un stagiaire chaque année et une doctorante (moi) qui y travaille à plein temps. Mon travail consiste en grande partie en de l’analyse de données, mais il y a aussi une forte composante de terrain… Afin justement d’acquérir des données à analyser !
Voici nos sites d’étude : une cinquantaine de forêts à travers la France, suivies depuis 1995 par le réseau RENECOFOR de l’Office National des Forêts (ONF). Avec un focus particulier sur trois d’entre elles : Mormal, Blois et l’Aigoual. Sur chacune de ces trois forêts, nous étudions 60 placettes (petites zones suivies dans le cadre d’une expérimentation scientifique) avec un gradient d’ouverture et de stades de peuplement.
Pour mesurer les conditions climatiques du sous-bois, nous utilisons des capteurs de deux types : « HOBO » et « TMS ».
Les capteurs TMS (qui comprennent trois capteurs de température et un capteur d’humidité du sol) sont destinés au réseau RENECOFOR. Nous travaillons en partenariat avec l’Office National des Forêts : les agents responsables des placettes réceptionnent et installent les capteurs, selon un protocole que nous leur avons fourni. Pour chaque localité, nous avons envoyés deux capteurs TMS : un à installer dans la placette forestière, et un à installer à proximité, mais en milieu ouvert. Ce qui nous intéresse particulièrement, c’est la différence de température entre les deux…
Quant aux capteurs HOBO, qui mesurent aussi la température, nous les avons installés (la phase de terrain a été repoussée à l’été en raison du confinement) sur nos 180 placettes dans les forêts de Blois, Mormal et l’Aigoual. Nous avons à chaque fois enterré un capteur à 8 cm dans le sol, et accroché un capteur à 1 m du sol à l’aide d’un ressort :
En plus d’installer des capteurs, nous avons mesuré de nombreux paramètres sur chaque placette (par exemple, hauteur et densité des arbres). Nous comptons aussi sur la technologie LiDAR pour obtenir une image 3D des trois forêts étudiées, et en tirer des informations pertinentes. Le survol des forêts pour l’acquisition LiDAR est prévu pour l’été prochain.
A partir de toutes ces mesures issues des missions sur le terrain et du LiDAR, l’objectif pour ma thèse est d’identifier les facteurs expliquant le microclimat : est-ce la hauteur des arbres ? le recouvrement de la canopée ? la microtopographie ? la distance à la lisière de la forêt ? …
Sans doute une combinaison de tous ces facteurs, et bien d’autres ! L’idée est de construire un modèle reliant macroclimat et microclimat, afin de pouvoir prédire localement les conditions réellement vécues par la biodiversité du sous-bois à partir des données déjà accessibles de température à plus grande échelle. Cela nous permettra aussi de discuter de l’évolution du microclimat avec le changement climatique, et ainsi d’affiner les projections sur les futures aires de répartition des espèces.
L’année prochaine, à la fin du printemps, nous retournerons justement sur nos 180 placettes pour inventorier la biodiversité : flore et arthropodes du sol (en particulier les carabes, des insectes magnifiques !). Nous pourrons alors explorer le lien entre le microclimat et la biodiversité du sous-bois.
Pour plus de détails, voici le site internet du projet ! Et pour suivre les actus du projet, le compte Twitter @ForMicroclimate
Enfin, même hors forêt, l’arbre joue un rôle crucial pour la régulation du microclimat, tout en abritant une importante biodiversité. D’où l’intérêt des haies, de l’agroforesterie, ou encore des arbres en ville pour atténuer les îlots de chaleur urbains…
Article réalisé par Eva Gril dans le cadre de la mission doctorale "science société" mise en place par Ombelliscience et le CNRS Hauts-de-France. Eva Gril est doctorante en fin de 1ère année de thèse (financée par l’Agence Nationale de la Recherche pour 2020-2023, via la délégation du CNRS Hauts-de-France) au sein du laboratoire – UMR EDYSAN – CNRS / Université de Picardie Jules Verne – sous la direction de Guillaume Decocq et en co-encadrement avec Jonathan Lenoir et Ronan Marrec.
Sujet de thèse : "Modélisation des microclimats sous couvert forestier et conséquences sur la biodiversité forestière en contexte de réchauffement global."
Pour en savoir plus :
« L’effet rafraichissant de la canopée forestière »
« Climat, espèces et adaptation : le rôle de la gestion forestière »
« Plus il fait chaud, plus le pouvoir isolant des forêts augmente »
« L’effet tampon de la forêt » en vidéo
Articles scientifiques en anglais :
Frenne, Pieter De, Florian Zellweger, Francisco Rodríguez-Sánchez, Brett R. Scheffers, Kristoffer Hylander, Miska Luoto, Mark Vellend, Kris Verheyen, and Jonathan Lenoir. 2019. “Global Buffering of Temperatures under Forest Canopies.” Nature Ecology & Evolution 3 (5): 744–49. https://doi.org/10.1038/s41559-019-0842-1.
Lenoir, Jonathan, Tarek Hattab, and Guillaume Pierre. 2017. “Climatic Microrefugia under Anthropogenic Climate Change: Implications for Species Redistribution.” Ecography 40 (2): 253–66. https://doi.org/10.1111/ecog.02788. Zellweger, Florian, Pieter De Frenne, Jonathan Lenoir, Pieter Vangansbeke, Kris Verheyen, Markus Bernhardt-Römermann, Lander Baeten, et al. 2020. “Forest Microclimate Dynamics Drive Plant Responses to Warming.” Science 368 (6492): 772–75. https://doi.org/10.1126/science.aba6880