Archéologie et nouvelles technologies dans les Hauts-de-France : vers une meilleure compréhension du paysage de l’Antiquité à nos jours
Publié par Ombelliscience -, le 15 juin 2020 3.8k
L’archéologie, qu’est-ce que c’est ?
L’archéologie est une discipline qui consiste à étudier et préserver notre passé, depuis la préhistoire jusqu’à nos jours. Elle peut être à la fois destructive (le chantier de fouilles) et non-destructive (la prospection). Son but est de comprendre les civilisations passées ainsi que leur mode culturel, artisanal, sociétal ou encore cultuel en étudiant les vestiges enfouis sous nos pieds. Depuis plusieurs siècles et surtout depuis le XIXe, l’archéologie a connu un réel essor grâce aux érudits et aux amateurs passionnés d’histoire. De nombreuses fouilles ont alors été réalisées, souvent sans aucune connaissance de méthode afin de ne pas perdre d’informations. C’est pourquoi, en France, la loi du 27 septembre 1941 voit le jour, interdisant à quiconque, sans autorisation de l’État, d’effectuer des fouilles et permet ainsi de protéger notre patrimoine. Puis, dans les années 1960-1970, naît l’archéologie dite « de sauvetage », aujourd’hui nommée archéologie préventive depuis la loi du 17 janvier 2001, consistant à effectuer des diagnostics, voire des fouilles, sur les terrains où une construction est prévue. Cela donne l’opportunité de sauver le site archéologique ainsi que ses vestiges, et d’approfondir son étude avant sa destruction complète. En revanche, l’archéologie dite « programmée », regroupe les archéologues d’universités et d’organismes spécifiques à l’archéologie mais aussi des amateurs maîtrisant les compétences requises à la direction d’une fouille. Elle se différencie dans le sens où la fouille peut être menée de façon pluri-annuelle et sans contrainte de temps, contrairement à l’archéologie préventive qui se doit de respecter des délais généralement courts.
En quoi l’archéologie est-elle importante ?
L’archéologie présente un intérêt majeur pour notre société. En effet, elle apporte d’innombrables informations matérielles sur notre passé. En complémentarité avec l’histoire, celle-ci déterre les vestiges afin de répondre à certaines questions que les sources littéraires ne résolvent pas. De plus, son importance est d’autant plus grande pour les périodes pré et protohistoriques, puisqu’aucune trace écrite ne nous est parvenue, et que seuls les outils, les sépultures et les différentes formes d’habitats nous éclairent sur nos ancêtres et leur mode de vie.
Comment trouver un site archéologique ?
Afin d’y répondre, il faut prendre conscience que, sans l’appeler archéologie, cette démarche existe depuis des siècles et que déjà, à Babylone, on collectionnait les artefacts mésopotamiens dès le VIe siècle avant notre ère. Dès la Renaissance, on redécouvre la Rome Antique et ses vestiges, ce qui provoque une émulation chez les érudits. Ensuite, les différents travaux qui nous parviennent aujourd’hui, et notamment ceux provenant d’antiquaires des XVIIIe et XIXe siècles, sont déjà une source de renseignement considérable pour le chercheur actuel. C’est aussi le but de l’archéologie préventive d’intervenir sur les terrains dépourvus de données afin d’appréhender rapidement leur potentiel archéologique et ainsi de pointer les indices d’occupations.
Enfin, différentes techniques de prospections nous permettent de repérer la présence de sites archéologiques. L’une d’elles, la prospection aérienne, a ainsi amélioré considérablement notre savoir concernant leur répartition géographique.
Un picard aux commandes : Roger Agache, pionnier de l’archéologie aérienne
Bien que la première photographie aérienne soit attribuée à Félix Tournachon, plus connu sous le pseudonyme de Nadar, lors d’une expédition en ballon au-dessus de Paris en 1858, son utilisation, d’abord à des fins militaires, puis scientifiques, se développe rapidement en Europe pendant l’entre-deux guerres. La prospection aérienne commence alors à se répandre en France, dans les années 1960, à travers les survols répétés de Roger Agache, archéologue picard largement reconnu dans ce domaine.
Répartition de sites repérés par R. Agache sur une carte IGN
En effet, grâce à lui, des centaines de sites archéologiques ont été repérés, notamment dans la Somme et le Nord—Pas-de-Calais. Un site internet du Ministère de la culture et de la communication est par ailleurs dédié à son travail. Aujourd’hui, en plus des survols réalisés par de nombreux archéologues et bénévoles, les nouvelles technologies telles que les télédétections satellitaires, par laser (LIDAR), les images fournies par les drones, apportent des données inédites quant au repérage d’anomalies de terrains mettant en exergue les traces des civilisations du passé. Ainsi, l’essor et le succès de cette technique révolutionne la recherche liée à l’archéologie des paysages et plus spécifiquement des campagnes.
L’archéogéographie
L’archéogéographie est une des branches de l’archéologie se rapportant à l’étude des paysages ruraux et à leur évolution depuis la préhistoire jusqu’à nos jours. Officiellement née dans les années 1970, elle apporte une meilleure compréhension du rapport qu’entretient l’Homme avec la nature. En effet, cette discipline étudie les structures anciennes à travers les traces fossiles conservées dans notre paysage actuel (cf. image ci-dessous).
Vue satellite de traces parcellaires et d’un supposé enclos à gauche de l’image
À l’aide de l’informatique, outil aujourd’hui indispensable à cette discipline encore récente, il est possible de mettre à profit les nombreuses découvertes dans un système géoréférencé.
Les systèmes d’information géographiques (SIG)
Superposition d’une carte du XIXe siècle sur le cadastre actuel
Afin de mieux appréhender l’Homme dans son environnement, il faut pouvoir mettre en relation un certain nombre de données (archéologiques, orographiques, cartographiques, hydrographiques et autres). Les logiciels de SIG tels que QGis ou ArcGis®, permettent de superposer toutes ces informations, comme le montre la carte ci-dessous.
On peut alors comparer un cadastre ancien sur une carte actuelle afin de repérer les changements éventuels qui ont eu lieu entre ces deux périodes et donc comprendre le choix de l’implantation d’une zone d’habitat, ou encore évaluer les stratégies de mise en place de parcelles agricoles dans une localité spécifique sur plusieurs siècles.
Un intérêt au-delà de la recherche archéologique : le passé une question d’actualité
Soucieuse de pouvoir s’intégrer dans une société en constante évolution, l’archéologie actuelle ne manque pas d’user de ses atouts tels que l’informatique, indispensable à son développement. C’est pour cela que l’utilisation de ces SIG n’est pas seulement d’ordre scientifique mais est aussi fédératrice, puisque l’objectif est d’informer au mieux un public amateur de son passé historique ou un aménageur désireux d’investir un terrain. Ainsi, les bases de données générées par l’apport des différentes études, scientifiques et amateurs, menées sur le territoire, selon des méthodes diverses et variées, étoffent nos connaissances historiques et géographiques. Il s’agit d’abord de comprendre l’évolution du paysage et son impact sur l’environnement au fil du temps, puis d’informer, des éventuelles potentialités liées au sous-sol, avant tout recours archéologique sur le terrain.
Photographie et dessin d'une coupe stratigraphique de la voie romaine d’Etienville (Normandie)
Enfin, grâce à la base Patriarche, qui répertorie toutes les découvertes sur une carte accessible dans les Services Régionaux d’Archéologie (SRA), les informations accumulées lors de ma thèse seront intégrées à cette base de données.
Un des objectifs de mon travail est de comprendre, par le biais de technologies nouvelles, les stratégies adoptées par nos ancêtres pour la mise en place de leur société mais aussi de vérifier l’impact de ces choix sur notre environnement actuel. En effet, on se rend compte que les techniques agricoles, ou encore l’agencement parcellaire, et ce à quoi il est consacré (prairie ou labour), a bien souvent un lien avec les techniques employées autrefois. Ainsi, il sera possible de proposer aux agriculteurs de meilleures solutions liées aux méthodes apportées par nos ancêtres, et dont l’archéologie a permis de démontrer l’intérêt, tel que l’aménagement de fossés par exemple. En effet, un agriculteur qui a décidé de détruire toutes les haies et tous les fossés qui séparaient ses champs afin d’obtenir une meilleure rentabilité, peut voir quelques années plus tard ses terres inondées. Il lui faudra alors l’aide d’un spécialiste, par exemple un archéogéographe, en collaboration avec des collègues de disciplines complémentaires, qui expliqueront que ces nombreux fossés de drainages étaient en activité dès la période préhistorique et orientés stratégiquement, dans le but d’arrêter les inondations de ces terrains.
Mon travail de thèse tend donc à développer les méthodes de recherche en archéologie par le biais des technologies nouvelles qui ne cessent de s’améliorer tout en les rendant accessibles au grand public. Ainsi, il sera aussi possible de proposer aux agriculteurs de meilleures solutions liées aux réussites reconnues du passé, comme ajouter des haies ou des fossés dans des zones spécifiques.
De même, le travail de l’archéologue, qui consiste aussi à repérer les modifications apportées par l’Homme ces derniers siècles, apporte un confort à l’aménageur grâce à une meilleure connaissance du terrain et de ses contraintes. Par exemple, la présence d’une zone de souterrains ou encore de carrières antiques seulement recouvertes par un dépôt éolien, et donc ayant un sol trop fragilisé pour y accueillir un bâtiment, sont pointées par le spécialiste lors des fouilles, afin de lui permettre de mettre en place les mesures de sécurité adaptées.
Enfin, n’oublions pas que ce sont les agriculteurs les acteurs de ces paysages et ce, depuis des millénaires, comme tient à le rappeler Roger Agache lorsqu’il insiste sur « le lien mystique qui relie les paysans à leur terre ». Finalement, n’a-t-il pas raison lorsqu’il prétend que « le plus beau des monuments historiques, c’est notre paysage » ?
Article réalisé par Aurore Di Liberto dans le cadre la mission doctorale "science société" mise en place par Ombelliscience et l'Université de Lille.
Aurore est doctorante en 2ème année de thèse (cofinancée par l’ED SHS de l’ULille et la région Hauts-de-France) en Archéologie et Histoire (2018-2021) au sein du laboratoire HALMA – UMR 8164 – Université de Lille – sous la direction de Christine Hoët-Van Cauwenberghe (HDR) et en co-encadrement avec Xavier Deru (MC).
Sujet de thèse : « Les paysages ruraux du nord de l'Empire romain : analyse du parcellaire antique dans les Hauts-de-France et les régions du nord-ouest de l'Europe. »
Bibliographie
Rachet Guy, Louis Frédéric, Dictionnaire de l’archéologie, Paris, Robert Laffont, 1983.
Mongne Pascal, Marquis Philippe, Dictionnaire de l’archéologie, Paris, Larousse, 2009.
Dieulafait Francis, Copains de l’archéologie : Le guide des explorateurs du temps. Milan. 1999.
Jockey Philippe. L’archéologie Texte imprimé / Philippe Jockey. Paris. Belin, 2000.
Dassié Jacques, Chevallier Raymond. Manuel d’archéologie aérienne. Paris. Éditions Technip, 1978.
Pour aller plus loin
Djindjian, F. (2010). Le rôle de l'archéologue dans la société contemporaine. Diogène, 229-230(1), 78-90. doi:10.3917/dio.229.0078. https://www.cairn.info/revue-diogene-2010-1-page-78.htm
La photographie aérienne : Techniques
De la terre au ciel, histoire de la prospection aérienne
https://www.echosciences-hauts-de-france.fr/articles/alcool-surpoids-maladie-foie-gras-humain-nord